CRITIQUES DE LIVRES

VICTOIRE SUR L'ACONCAGUA

 

 

par René FERLET et Guy POULET.

Flammarion, Paris.

(Revue " La Montagne" - No 2, 1955)

 

Quel est le prix de l'audace ? A quoi se mesure un succès ? Quelle marge y a-t-il entre une victoire chèrement payée et l'accident mortel ? Un coeur qui bat dans un corps meurtri, un cour qui ne bat plus ; écart infime mais primordial pour le chroniqueur qui, les pieds au chaud, marque les points et s'exclame "Echec sur la Nanda Devi, victoire sur l'Aconcagua, un nouveau cap de l'alpinisme est franchi !". Ne nous y trompons pas, la volonté de réussir était aussi grande, l'expérience aussi solide chez un Duplat que chez Buhl ou que chez Guy Poulet et ses compagnons, et ce sont cette volonté et cette expérience qui donnent la mesure d'un homme. Laissons l'audace aux téméraires. Rien n'est plus éloigné de la témérité que la froide réflexion de René Ferlet, montant son plan d'attaque de la face sud de l'Aconcagua. Franchir un sommet de 7.000 mètres en traversée ? Bien sûr, quand on sait que la descente par la voie normale demande 3 h. 30. Lancer l'assaut avec du matériel de bivouac, d'un dernier camp à 1800 m. du sommet ? Toute autre méthode ne pouvait conduire qu'à un échec. Marmillod n'avait pas fait autrement à la face ouest de l'Aconcagua, Buhl pas autrement au Nanga Parbat - au matériel de bivouac près

Alors, le prix ? Souffrances, gelures, amputations. Guy Poulet nous affirme que ses compagnons et lui ne regrettent rien. Est-ce à nous de les contredire ? Son récit est magnifique. Si l'on met à part deux chapitres qui auraient gagné à être raccourcis et un relent de mauvaise littérature populiste dans les dialogues, le livre se dévore. L'Approche de René Ferlet, pose le problème et nous amène au pied des difficultés en pleine connaissance de cause. L'Assaut, de Guy Poulet, nous donne un récit poignant de l'ascension, de la descente, et des souffrances d'une équipe dont la solidarité ne s'est jamais démentie.

Les auteurs ne sont pas des écrivains de métier ? Tant pis, entre le témoignage direct et l'oeuvre d'art les goûts seront toujours partagés. L'aventure ne se raconte pas par personne interposée. Dans Victoire sur L'Aconcagua nous sommes de plain pied avec la montagne et les hommes, sans fard et sans trémolo.

Une bonne carte et quelques photographies supplémentaires choisies parmi celles que Dagory a prises avec tant de constance et de bonheur au cours de l'ascension, auraient été les bienvenues

Jacques TESSIER DU CROS.