CRITIQUES DE LIVRES
LA MEIJE
par Henri Isselin.
Arthaud, Paris, Grenoble.
(Revue " La Montagne" - No 10, 1956)
Un livre entier sur la Meije diront les uns, comment meubler ses pages ; la Meije en moins de 300 pages, diront les autres, cela nous rappelle l'Italie en 15 jours des agences de voyage, mais tout compte fait, je crois que, en fermant le livre d'Isselin, chacun y saura trouvé son compte.
Le lecteur non initié connaîtra mieux l'histoire de cette montagne dont la splendeur l'a séduit, et surtout il comprendra peut-être un peu la passion qui anime les coureurs de cimes qui, par delà le sommet se cherchent eux-mêmes au travers des parois abruptes.
L'alpiniste, de son côté, souvent pressé, comme tous ses contemporains, trouvera le rappel vivant d'un passé qu'il n'a guère le temps de rechercher dans les livres ou revues anciens et aussi bien des détails d'histoire récente que l'auteur a eu le mérite de recueillir avant que la tradition orale ne soit déformée ou même perdue.
Bien plus, et c'est là à mes yeux un des mérites de l'ouvrage, chacun pourra voir que l'histoire alpine n'est au fond qu'un perpétuel recommencement. Des précurseurs d'il y a un siècle aux modernes sestogradistes, y a-t-il une telle différence ? et comment ne pas rapprocher ces timides tentatives auxquelles on ne croyait qu'à moitié, de celles plus modernes qu'ont vu les grandes faces nord (Jorasses, par exemple) et les 8000 de l'Himalaya ?
La crainte irraisonnée de l'inconnu, des idées a priori, un équipement insuffisant. . -, nous retrouvons partout les mêmes facteurs et aussi l'action décisive de quelques fortes personnalités qui, rompant avec les dogmes d'une époque, ont su vouloir et montrer la voie.
N'est-elle pas de nos jours aussi cette opposition de caractère et de méthode entre Duhamel et Boileau de Castelnau, et combien la carrière de ce dernier n'est-elle pas proche de celle de certains modernes qui, brillants météores, ont brillé quelques années au firmament alpin avant de consacrer à d'autres activités leur débordante énergie ?
Tout cela est écrit dans un style aisé dans le genre "reportage historique" actuellement en vogue. Quelques belles photos, des schémas clairs enfin et même un rappel sur les degrés de difficultés en rendent la lecture aisée aux non initiés.
Louis NELTNER.
LA MEIJE, édition 1968, par Henri Isselin. Arthaud, Paris, Grenoble
(Revue " La Montagne et Alpinisme" - No 69, Octobre 1968)
Douze ans ont passé depuis la première édition de cet ouvrage dont je rendais compte ici même en décembre 1956 et, à une époque où tout passe si vite, il éveille en moi les mêmes résonances. Sans doute y a t il pour cela des raisons qui me sont personnelles dans la mesure où ce livre évoque en moi le temps de la jeunesse et le souvenir d'amis disparus, mais cela seul ne suffit pas à expliquer qu'ayant distraitement repris cette nouvelle édition pour rendre compte des mises à jour, je me suis bien vite trouvé de nouveau saisi par la magie d'une histoire où, par delà la montagne, les hommes tiennent la première place, des hommes très proches de nous et qui, en dépit d'apparences superficielles, n'ont guère changé depuis un siècle. Jadis comme aujourd'hui, ce sont les mêmes "conquérants de l'inutile", cet inutile de plus en plus nécessaire dans notre société mécanisée, et c'est là sans doute l'intérêt majeur de l'ouvrage.
Le style aisé, les illustrations claires et bien choisies, augmentent l'attrait de ce livre. On peut toutefois regretter de ne pas trouver sur l'un des croquis des pages 115 ou 136 le tracé des voies Allain du versant sud. La mise à jour s'étend jusqu'à l'année 1966 qui semble bien avoir marqué la fin des grandes conquêtes avec le tracé de la voie directe de la face nord.
Il semble donc que l'ouvrage ait ainsi atteint sa forme définitive et, tel qu'il est, il semble mériter de devenir un classique de l'alpinisme.
Louis NELTNER