CRITIQUES DE LIVRES
L'AMATEUR D'ABÎMES
par Samivel.
Stock, Paris.
(Revue " La Montagne et Alpinisme" - No 53, Juin 1965)
Les éditions Stock ont publié, il y a quelque temps, un livre de Samivel, édité précédemment en 1940, dans la collection "Les Livres de Nature" et intitulé l'Amateur d'Abîmes.
Sous le prétexte de nous conter ses vacances à Chamonix avec des amis alpinistes, Samivel passe en revue, non seulement les hommes de montagne, leurs joies et peines, mais les objets dont ils se servent, les lieux de leurs évolutions : refuges, glaciers, rocs, l'atmosphère qui les entoure : soleil, brouillard, vent. aurore, nuit...
Et par son style personnel, déjà affirmé à l'époque, tout prend vie : les objets comme les hommes, la glace, le brouillard ou la nuit, parlent, rient ou menacent. Ils sont tour à tour, hommes, fées ou démons et l'auteur excelle dans ce mélange de rêve et de réalité où pétillent l'humour, l'observation, l'esprit.
Personnellement, j'ai retrouvé avec plaisir les péripéties des courses de Bob, Alain et Jacques, que ce soit au Requin, à l'aiguille de Bionnassay ou ailleurs. Joie aussi est de relire les portraits "d'un certain jeune homme" ou de "Monsieur du Tilleux", types inépuisables de la faune alpine.
D'ailleurs nombre de notations sont encore si exactes en 1965, que j'ai consulté à plusieurs reprises, l'ancienne édition pour vérifier si l'auteur ne l'avait pas retouchée. II n'en est rien, le classique ne se démode pas, lisons plutôt : "Le Parisien (Londonien ou Berlinois) moyen, hors de sa ville d'élection, traîne partout avec lui, comme autant de boulets son " quotidien ", sa T.S.F., son ciné, sa voiture, sa terreur panique du silence et de la solitude, sa nervosité moutonnière, son imbécile respect de la mode, son amour du toc et ses papiers gras." Mais il faudrait citer tout le chapitre.
Que pensera de l'ouvrage le lecteur qui ouvre aujourd'hui ce livre pour la première fois ?
S'il est de ma génération, il sourira de certaines chaussures à clous lui rappelant d'homériques glissades sur les moraines ou plus simplement sur les trottoirs de la gare de Lyon. Il s'amusera des recettes de soupes faites au refuge, ou des sauts dans le vide des boîtes d'ananas jalousement gardées pour le sommet.
Mais si le lecteur est jeune, ne se moquera-t-il pas de ces petites misères de l'alpiniste que les progrès en matériel ont supprimées ou... changées de genre ? Ne rira-t-il pas à l'évocation des bruits du piolet sur la moraine ? Aurait-on idée de monter au refuge en tenant encore son piolet à la main ?
Et pourtant, parmi les innombrables récits qui croissent dans les revues spécialisées ou les bulletins de section, ou (hélas !) dans la grande presse, combien ont le charme de ceux de Samivel ?
Citons un Georges Kogan et son inoubliable "Gendarmerie de Sialouze" (La Montagne, juillet 1944, septembre 1945), un Pierre Allain avec l'ambiance extraordinaire évoquée lors de l'ascension de la Walker (Alpinisme, mars 1946), un Livanos mordant et d'une ironie brillante... au septième degré. Certes, j'en oublie, mais quelle intime proportion de textes valables à coté des nombreux clichés mille fois relus, tels que : "nous prenons une petite vire", "nous cassons une petite croûte", " nous poussons un joyeux jodel au sommet", "après une descente sans histoire", etc, etc...
C'est pourquoi, j'espère quand même, que malgré l'absence "d'artif" et d'abréviations argotiques, nouvelle vague, de nombreux jeunes aimeront trouver dans l'Amateur d'Abîmes, la poésie, l'amour du beau, mêlés à un pur esprit de lutte avec la montagne.
La présentation du livre est correcte, avec une couverture illustrée d'un dessin de l'auteur. Nous n'en regrettons que davantage, de ne pas trouver à l'intérieur de cette nouvelle édition d'autres dessins, comme ceux qui égayaient la précédente parution, pourtant rudimentaire.
C'est un détail que, jeunes et autres auraient certainement beaucoup apprécié.
Roland TRUFFAUT.
(Revue " La Montagne et Alpinisme" - No 126, 4/1981)
(Ed. Stock, Parle. 1981).
Charles Boyer écrivait en 1942 dans La Montagne, à propos de la première édition de ce livre: "La plume de Samivel est aussi habille que son crayon et les pages qu'il écrit équivalent ses dessins, je dirai même qu'elles ont plus de mordant, étant parfois âpres quand elles flagellent avec véhémence les hordes estivales qui envahissent en août le vieux bourg." II ajoutait c'est "une satire violente des Alpinistes m'as tu vu, des considérations philosophiques sur le retour à la Nature, d'excellentes descriptions d'ascensions, des dessins humoristiques: l'ensemble imprégné d'une sagace érudition."
Quarante ans après cette analyse conserve toute sa fraîcheur et souligne la permanence de l'oeuvre de Samivel.
Serge MOURARET.