CRITIQUES DE LIVRES

ALTITUDE ET LONGITUDES

par Jean PUISEUX

(Ed. Glénat, Grenoble, 1994 )
(Revue " La Montagne et Alpinisme " - No 3, 1994)

Les médias se trompent souvent de cibles en cherchant leurs héros là où se trouvent l'argent, les sponsors et les puissances, quelles qu'elles soient. Nous savons qu'en montagne il existe des exploits discrets, restant ignorés du public, tandis que d'autres s'accompagnent volontiers de micros, de caméras et de vols d'hélicoptères. Sans dénier aucunement la virtuosité ou les talents d'endurance de ceux qui accèdent actuellement à d'éphémères mais bruyantes gloires, il faut reconnaître, face à ce livre étonnant qu'est Altitude et longitudes que le vrai héroïsme est peut-être ailleurs...


Jean Puiseux fut l'un des très bons alpinistes des années 50 et un alpiniste dont les prouesses étaient dépourvues de tout dessein publicitaire. Ingénieur, père de cinq enfants, il pratiquait la montagne au prix de divers sacrifices et pour le seul plaisir de l'effort. Ainsi réalisa-t-il la première traversée hivernale des quatre pointes du Midi d'Ossau et la première hivernale de la face nord-est de l'Otan.

Compagnon des Terray, Magnone, Desmaison et autres grands grimpeurs de son époque, il était encordé avec Couzy lorsqu'une malheureuse chute de pierres vint frapper ce dernier en 1958. II fit partie d'une expédition au Caucase et de celle qui réalisa la première ascension du Chacraraju Est.

Mais, progressivement atteint par une maladie aussi sournoise que cruelle, la polyarthrite chronique évolutive qui touche l'ensemble des articulations, il dut subir, chaque année et à vie, des opérations multiples et devenir un client régulier des hôpitaux. Déclaré invalide, pensionné, écarté de la vie professionnelle, il décida que ce qui aurait dû être une progressive descente aux enfers deviendrait un nouveau combat. II ne pouvait plus grimper ? II skia, autant qu'il put, et surtout se prit d'une passion pour la voile, mieux adaptée à ses incapacités physiques. « Les pouvoirs limités de nos sciences sont décuplés par la volonté de celui qui veut continuer à vivre » écrit, dans la préface, le docteur Anne Languepin, qui fut sa chirurgienne. Après nous avoir narré les ascensions de sa jeunesse, Jean Puiseux nous entraîne dans ce livre vers sa découverte de la navigation, son rude apprentissage, ses dangers, ses rebutants inconforts, ses joies et termine le récit par la fascinante aventure de son tour du monde à la voile.

"En somme, vous êtes plus mer que montagne », ai-je un jour entendu dire à Éric Tabarly, par un Anglais... Jean Puiseux est plus mer que montagne, mais son livre tient cependant des deux et il est surtout le témoignage prenant d'un homme qui, refusant l'inexorable destruction physique, et peut-être mentale, a su lutter, tenir bon, vaincre et finalement continuer, avec intensité, à vivre.


Anne SAUVY

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