II y a un mystère Hohl.

Précédé.. parmi les initiés du sérail, d'une flatteuse campagne de bouche à oreille, vient le temps des critiques de presse. D'Alpi-Rando au Monde et à Esprit, le mode est dithyrambique : en somme, Ludwig Hohl, écrivain suisse de langue allemande, serait un génie méconnu. Or, un bon romancier qui écrit sur l'alpinisme, voilà qui est rarissime. Pour réparer votre coupable inculture, vous vous précipitez donc sur cette Ascension auréolée du prestigieux titre rouge des couvertures blanches de la N.R.F.

Mais, dès la dixième ligne, le doute commence à vous poindre et, après dix pages, l'ouvrage vous tombe des mains. Pourtant, on évoque Hemingway, Melville, Edgar Poe, Kafka. Alors, prenant votre courage et le livre à deux mains, vous allez jusqu'au dernier mot (vite dit d'ailleurs, car il ne s'agit que d'une longue nouvelle), et vous restez interdit. Car voilà un roman d'alpinisme (je dis bien d'alpinisme) au récit linéaire, mal ficelé et sans surprise, à la psychologie rudimentaire, à l'allégorie éculée, aux thèmes conventionnels, aux dialogues maladroits, aux monologues intérieurs tels que les écrivent les livres, à la poésie (si poésie il y a) des plus plates, à la lourdeur appuyée (l'auteur croyant devoir expliquer l'élémentaire par le pesant). En bref, un récit de course tel que figé par la routine du genre. Si l'auteur a réellement porté cette oeuvre quarante-neuf ans, comment n'a­t-il pas, en un demi-siècle, trouvé le temps du repentir ? De plus, pour achever de vous gâter le goût, voici une traduction puant ses germanismes d'une lieue.

Vous vient alors que, au fond, Giono, Sonnier, Toulouse, Herzog même, ce n'est pas si mal. Oui, vive Ramuz ! vive Chappaz ! Et vous passez du doute à la certitude : en allemand, hohl veut dire «creux». Un creux peut être profond ; la profondeur n'est jamais creuse.

II n'y a pas de mystère Hohl.

Jean BOCOGNANO.