La chute de Patrick Berhault fut un choc énorme pour Jean-Michel Asselin, cela ne fait aucun doute. Il le connaissait fort bien, et depuis très longtemps : c'était évidemment un grand ami.

Et Jean-Mi a mis trois ans pour rassembler le courage nécessaire à l'écriture de ce livre. Ses souvenirs et ses sentiments sont cependant encore un peu confus, emmélés, chargés d'une émotion que l'on sent transparaitre dans chaque phrase.

C'est AlpiRando qui parle le premier de Patrick, en 1978, sous le titre "Une étoile est née". Ce "martien", cet "extraterrestre", découvre une évidence : "il vaut mieux miser sur six heures trente de beau temps pour gravir le Piler du Frêney que sur six jours et demi"... Patrick Berhault rencontre Patrick Edlinger, et les deux compères, aussi fou l'un que l'autre, se plient à un régime d'entrainement draconien : "pour être bon, il faut y mettre le prix". Mais, pendant qu'Edlinger devient une vedette à part entière, Berhault "est un réveur, pour qui les valeurs non monayables de liberté, d'amitié, voire d'amour, dépassent tout ce qui caractérise la gloire et la réussite" (p 45). Leurs chemins divergeront alors quelque peu : sans renier l'escalade (dont il dit "J'éprouve dans la danse-escalade le plaisir de la création, de l'esthétisme, de la souplesse, du rythme, de l'énergie qui circule, sans parler de la musique qui te transcende et te transporte au-delà de toi-même" - p 57), Berhault invente les enchainements en montagne.

Amoureux fou de la nature, Berhault a le rêve du guide-paysan : il achète une ruine en Auvergne, qu'il retape entièrement lui-même. Sa vie comporte alors plusieurs facettes, qu'il n'est pas toujours facile de concilier... Mais il reste fidêle à ses principes de base de non-compromis avec la nature (il refuse d'être sponsorisé par une société qui a des intérêts dans le nucléaire...), et de refus de la compétition d'escalade (il ne parle même pas des voies devenues myhtiques, qu'il a ouvertes).

Berhault et Edlinger, que la vie avait un peu séparés, Jean-Mi Asselin les réunit à nouveau. Et c'est ensemble qu'ils se lancent dans la grande traversée des Alpes, en 2000/2001. Le livre qu'écrit alors Berhault, "Encordé mais libre", est "le récit de montagne le plus original jamais écrit : pas une once d'épopée" (p 117). Jean-Mi suit cette aventure heure par heure. Un film superbe en fut réalisé par Gilles Chappaz : ce film le fit connaitre du public. C'est avec Philippe Magnin qu'il réalise un autre projet fou : l'ascension hivernale du plus grand nombre de voies possible dans l'Envers du Mont Blanc... Et c'est encore avec Philippe Magnin, cet autre extra-terrestre, qu'il entreprend l'ascension hivernale de tous les 4000 des Alpes...

"Oui, Patrick nous a fait ce legs, qui consite à penser combien nous avons de la chance, combien nous sommes des privilégiés quand nos soucis ne sont que de peiner en gravissant un chemin de pierres vers une cime où nous attendent des soleils, des neiges, des orages, des brises légères et bleues" (p 180). Jean-Mi Asselin écrit fort bien...

Daniel MASSE