CRITIQUES DE LIVRES

LE COMBAT SINGULIER

 

 

par Georges SONNIER. - Albin Michel, Paris.

(Revue " La Montagne et Alpinisme " - No 3, 1974)

Dans la toute petite troupe des bons écrivains de montagne, Georges Sonnier occupe une place enviable et il nous donne, pour son sixième ouvrage en une trentaine d'années, un roman bien enlevé. On suit avec intérêt ces six jours d'ascension et de descente qui sont comme un compendium de tout ce qui peut arriver à l'homme dans ces "terres du ciel" qui lui sont étrangères et rebelles à sa vie. Car rien n'est oublié et cette accumulation exhaustive de détails vrais (faits ou sentiments) fera sans doute sourire l'initié. Mais il faut penser que cette oeuvre est écrite pour le grand public, donc pour une immense majorité de profanes.

Plus contestable est l'idée même du "combat singulier ", du corps à corps avec la montagne. C'est toujours cet anthropomorphisme qu'on voudrait croire définitivement cloué au musée de l'alpinisme. Non ! la montagne ne se bat pas, ne tue pas, ne se "possède" pas. Comme l'a dit un alpiniste célèbre : "Elle est là ", c'est tout.

Mais peut-être l'auteur a-t-il voulu dire que l'homme ne combat la montagne que parce qu'il en fait un moi transférentiel et qu'en réalité c'est avec lui-même qu'il lutte. Fort bien. Mais alors, voici un homme d'âge, d'expérience et de réflexion qui, malgré la vieillesse, la maladie et un manque total d'entraînement, s'engage en solitaire dans une course longue, difficile et hivernale : il en meurt d'épuisement, à l'aube du septième jour, après être allé non seulement au haut de "sa " cime (et encore, y est-il allé ?), mais surtout "au plus haut de lui-même : le vrai sommet". Est-ce là une leçon de vie ? Ou plutôt, - et c'est un compliment, le héros n'a-t-il pas échappé à son créateur? Or enfin, si personne ne sait pourquoi on vit ni pour quoi on meurt, il n'est donné qu'au petit nombre de vouloir et pouvoir, comme Jean, ingénieur et poète de longtemps détaché de la chair et du monde, choisir son destin, - ici : la mort.

Finalement nous avons là une forme originale et raffinée d'euthanasie suicidaire : la " belle mort ", fruit d'un acte gratuit, - le seul acte efficace et le seul " important ".

On comprend donc que Sonnier, que ce livre a " aidé à vivre ", lui accorde une place de choix dans son oeuvre : c'est son livre de sagesse où il fait la somme ultime. Il l'a écrit d'une bonne langue, ronde et comme bien huilée, gonflée d'une poésie parfois un peu plate et bien conventionnelle, mais plus souvent originale et d'une belle plénitude.

Jean BOCOGNANO.