CRITIQUES DE LIVRES

EVEREST, Ultime Défi

par Chris Bonington.

Ed. Flammarion, Paris.

(Revue " Montagne et Alpinisme" N°1 - 1978)

 

Par son abondance, la littérature alpine nous a appris à être plus exigeants, et à devenir plus critiques. Le champ de l'aventure en montagne permet difficilement de renouveler un genre dont le thème reste par la force des choses souvent identique.

On a parfois reproché aux récits d'expédition leur manque d'originalité et leur conformisme, dont on se demande en fait comment ils pourraient s'affranchir. Le récit de montagne, il faut le dire, est un genre littéraire ardu et de nombreux ouvrages ont paru à ce jour pour tomber dans l'oubli. Everest, ultime défi devrait, au contraire, suivre une toute autre voie.

Traduction française de l'édition anglaise parue en 1976 sous le titre Everest, The Hard Way, cet imposant ouvrage réunit en quelque 250 pages les qualités qu'on attend d'un récit d'expédition.

Raconter l'ascension de la face sud-ouest de l'Everest, c'était déjà partir d'un bon pied. Cette face avait été tentée plusieurs fois; cinq expéditions avaient dû renoncer dont celle de Chris Bonington en 1972.

 

 

Repartir trois ans plus tard à la conquête de l'Everest par la même voie, c'était aller au devant d'une aventure incomparable et relever un défi en partie gagné en 1972 puisque l'expédition avait attéint 8 325 m.

La conception, la réalisation et la réussite d'une telle expédition ne pouvaient que déboucher sur un récit intéressant. Ce n'était cependant pas suffisant; encore fallait-il concevoir un ouvrage propre à stimuler l'attention du lecteur.

Everest, ultime défi se divise en trois parties distinctes.

La première, la plus difficile à réussir parce que souvent la plus ennuyeuse, retrace les origines et la préparation de l'expédition. Partir à l'Everest avec une solide équipe de grimpeurs et de porteurs et réunir un matériel approprié imposent une organisation rigoureuse.

La seconde partie comprend la marche d'approche et l'ascension de la face sud-ouest. La troisième est un appendice technique sur les problèmes de l'alimentation, des transports, de l'équipement, des communications, de la photographie, du cinéma et enfin de la médecine en haute montagne.

Dès le début du récit, Chris Bonington nous fait participer à l'élaboration de ses décisions; de cette façon, on se trouve immédiatement placé au coeur des questions essentielles et on ne manque pas de se sentir pris au jeu. C'est un procédé astucieux que celui de dévoiler ses cartes et de peser le pour et le contre en donnant au lecteur les éléments du choix.

Regrouper des hommes qui vont devoir vivre ensemble pendant de longs mois et souvent dans des conditions difficiles pose de nombreux problèmes notamment au niveau de l'adéquation des caractères. Ainsi, Chris Bonington nous livre ses pensées et, en quelque sorte, ses critères.
On constate que toute l'équipe est triée sur le volet et que chacun est choisi en fonction de sa compétence et de ses qualités.
L'équipe réunie et le matériel préparé, une autre phase commence : la marche d'approche avec l'acheminement du matériel et la montée des hommes au camp de base. Pour quelques-uns, c'est le premier contact avec les montagnes himalayennes; pour d'autres, ce sont d'émouvantes retrouvailles. Puis il faut aussi faire connaissance car certains se connaissent mais d'autres pas.

En exposant ses pensées au grand jour, Chris Bonington tente de démontrer que le moral des hommes se façonne ici et que toute la suite de l'expédition en dépend.

Vient ensuite le moment de choisir l'itinéraire et de se lancer à l'assaut du sommet. Les grimpeurs gagnent du terrain, les camps IV et V sont déplacés à cause d'un problème d'approvisionnement, Nick Escourt et Tut Braithwaite franchissent sans oxygène la fameuse barre rocheuse qui avait repoussé les assauts des expéditions antérieures, Dougal Haston et Doug Scott tracent la voie vers le sommet, y parviennent, précédant de peu Pete Boardman et son sherpa Pertemba; on grelotte ensuite avec Haston et Scott au bivouac sous le sommet par -40°, on s'inquiète de la disparition de Mike Burke.

Ce livre n'est pas seulement un exposé factuel de l'ascension; Chris Bonington tente d'y apporter en effet une note personnelle. Organisateur de talent, Chris Bonington fait du succès de l'expédition à la face sud-ouest de l'Everest une réussite logistique et l'on ne peut s'empêcher de lier cette réalité à sa propre expérience. Chris Bonington n'a-t-il pas été militaire pendant de longues années ? On sent qu'il met cette expérience au service de la montagne. Ici, avec la qualité des grimpeurs, tout repose quasiment sur un plan mille fois pensé et remanié.

Dès le début de la préparation de l'expédition, Chris Bonington soumet ses hypothèses aux calculs des ordinateurs. Ces hypothèses sont ainsi étudiées et soigneusement analysées... mais rien ne remplace la décision sur le terrain !

La seconde caractéristique qui retient l'attention du lecteur et qui fait de Everest, ultime défi un livre peu commun, c'est le dialogue qui s'élabore entre Chris Bonington et les membres de l'expédition; langage ouvert, mais aussi secret.

Comment ses ordres sont ils perçus? Les carnets personnels des grimpeurs y répondent. On sent que, dans son livre, Chris Bonington se pique à un jeu psychologique qui est, en définitive, plus passionnant que le récit lui-même. Le lecteur s'amuse à observer les fils se tendre entre un chef d'expédition dont le rôle est, en dernier ressort, de décider, et certains membres de l'équipe dont la présence est synonyme de sommet.

Ce livre n'est donc pas uniquement la somme des faits et gestes de l'expédition à la face sud ouest de l'Everest; il place le lecteur dans un rôle qui doit prendre en considération toutes les données d'une telle entreprise. Everest, ultime défi est donc un ouvrage sérieux dans le fond; il l'est aussi dans la forme.

Une traduction consciencieuse et une belle documentation photographique complètent les qualités intrinsèques du récit. Le tout réuni permet de conclure que ce livre est fait pour ne pas tomber dans l'oubli.

Michel SCHULMAN.

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