Repartir trois ans plus tard à la conquête
de l'Everest par la même voie, c'était aller au devant d'une
aventure incomparable et relever un défi en partie gagné
en 1972 puisque l'expédition avait attéint 8 325 m.
La conception, la réalisation et la réussite
d'une telle expédition ne pouvaient que déboucher sur un
récit intéressant. Ce n'était cependant pas suffisant;
encore fallait-il concevoir un ouvrage propre à stimuler l'attention
du lecteur.
Everest, ultime défi se divise en trois parties distinctes.
La première, la plus difficile à réussir parce que
souvent la plus ennuyeuse, retrace les origines et la préparation
de l'expédition. Partir à l'Everest avec une solide équipe
de grimpeurs et de porteurs et réunir un matériel approprié
imposent une organisation rigoureuse.
La seconde partie comprend la marche d'approche et l'ascension de la face
sud-ouest. La troisième est un appendice technique sur les problèmes
de l'alimentation, des transports, de l'équipement, des communications,
de la photographie, du cinéma et enfin de la médecine en
haute montagne.
Dès le début du récit, Chris Bonington nous fait
participer à l'élaboration de ses décisions; de cette
façon, on se trouve immédiatement placé au coeur
des questions essentielles et on ne manque pas de se sentir pris au jeu.
C'est un procédé astucieux que celui de dévoiler
ses cartes et de peser le pour et le contre en donnant au lecteur les
éléments du choix.
Regrouper des hommes qui vont devoir vivre ensemble pendant de longs mois
et souvent dans des conditions difficiles pose de nombreux problèmes
notamment au niveau de l'adéquation des caractères. Ainsi,
Chris Bonington nous livre ses pensées et, en quelque sorte, ses
critères.
On constate que toute l'équipe est triée sur le volet et
que chacun est choisi en fonction de sa compétence et de ses qualités.
L'équipe réunie et le matériel préparé,
une autre phase commence : la marche d'approche avec l'acheminement du
matériel et la montée des hommes au camp de base. Pour quelques-uns,
c'est le premier contact avec les montagnes himalayennes; pour d'autres,
ce sont d'émouvantes retrouvailles. Puis il faut aussi faire connaissance
car certains se connaissent mais d'autres pas.
En exposant ses pensées au grand jour, Chris Bonington tente de
démontrer que le moral des hommes se façonne ici et que
toute la suite de l'expédition en dépend.
Vient ensuite le moment de choisir l'itinéraire et de se lancer
à l'assaut du sommet. Les grimpeurs gagnent du terrain, les camps
IV et V sont déplacés à cause d'un problème
d'approvisionnement, Nick Escourt et Tut Braithwaite franchissent sans
oxygène la fameuse barre rocheuse qui avait repoussé les
assauts des expéditions antérieures, Dougal Haston et Doug
Scott tracent la voie vers le sommet, y parviennent, précédant
de peu Pete Boardman et son sherpa Pertemba; on grelotte ensuite avec
Haston et Scott au bivouac sous le sommet par -40°, on s'inquiète
de la disparition de Mike Burke.
Ce livre n'est pas seulement un exposé factuel de l'ascension;
Chris Bonington tente d'y apporter en effet une note personnelle. Organisateur
de talent, Chris Bonington fait du succès de l'expédition
à la face sud-ouest de l'Everest une réussite logistique
et l'on ne peut s'empêcher de lier cette réalité à
sa propre expérience. Chris Bonington n'a-t-il pas été
militaire pendant de longues années ? On sent qu'il met cette expérience
au service de la montagne. Ici, avec la qualité des grimpeurs,
tout repose quasiment sur un plan mille fois pensé et remanié.
Dès le début de la préparation de l'expédition,
Chris Bonington soumet ses hypothèses aux calculs des ordinateurs.
Ces hypothèses sont ainsi étudiées et soigneusement
analysées... mais rien ne remplace la décision sur le terrain
!
La seconde caractéristique qui retient l'attention du lecteur et
qui fait de Everest, ultime défi un livre peu commun,
c'est le dialogue qui s'élabore entre Chris Bonington et les membres
de l'expédition; langage ouvert, mais aussi secret.
Comment ses ordres sont ils perçus? Les carnets personnels des
grimpeurs y répondent. On sent que, dans son livre, Chris Bonington
se pique à un jeu psychologique qui est, en définitive,
plus passionnant que le récit lui-même. Le lecteur s'amuse
à observer les fils se tendre entre un chef d'expédition
dont le rôle est, en dernier ressort, de décider, et certains
membres de l'équipe dont la présence est synonyme de sommet.
Ce livre n'est donc pas uniquement la somme des faits et gestes de l'expédition
à la face sud ouest de l'Everest; il place le lecteur dans un rôle
qui doit prendre en considération toutes les données d'une
telle entreprise. Everest, ultime défi est donc un
ouvrage sérieux dans le fond; il l'est aussi dans la forme.
Une traduction consciencieuse et une belle documentation photographique
complètent les qualités intrinsèques du récit.
Le tout réuni permet de conclure que ce livre est fait pour ne
pas tomber dans l'oubli.
Michel SCHULMAN.
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