CRITIQUES DE LIVRES

QUATRE HOMMES CONTRE L'EVEREST

 

 

par W.W. Sayre.

Flammarion, Paris.

(Revue " La Montagne et Alpinisme" - No 56, Février 1966)

L'Everest a toujours attiré les non-conformistes qui viennent cette fois d'un pays pourtant réputé peu fantaisiste et l'existence de tels hommes au sein d'une civilisation mécanisée est fort réconfortante. En deux mots, voilà l'histoire : deux Américains, amoureux de l'Everest et à travers lui d'une vie quelque peu aventureuse et libre, conservent leur passion par delà les années de jeunesse, puis se décident un jour à vivre l'aventure dont ils rêvaient, et ce avec plus de foi que de raison, plus d'enthousiasme que de prudence, mais la Fortune sourit aux audacieux.

Après donc une préparation réduite, deux ou trois sommets seulement mais parmi ceux-ci le mont Mc Kinley (6 200 m) dans l'Alaska, les voilà donc en compagnie de quelques camarades, embarqués dans la grande aventure, avec un curieux mélange de soins minutieux et d'imprévoyance.

Ils ont pensé par exemple à se munir de sifflets pour les signaux, mais le dernier membre de l'équipe est un Suisse recruté quelques jours avant le départ au hasard d'une rencontre sur les pistes de ski de Zermatt.

L'objectif étant le versant nord de l'Everest dans le Tibet communiste, il fallait d'abord en atteindre le pied et pour cela passer clandestinement un col de 5 600 m avant de parcourir ensuite quelque 30 à 40 km de glaciers avec vivres et matériel pour un mois, tout cela sans porteurs et d'assez vagues indications cartographiques.

Rien d'étonnant qu'après cela nos hommes, pas mal inexpérimentés de surcroît, arrivent assez épuisés au moment d'aborder l'ascension proprement dite, ce moment de vérité ou il faut se donner à fond.

Dès ce moment l'échec était certain mais nos héros ne renoncent qu'après avoir largement dépassé 7 500 m et avoir par miracle échappé à une longue glissade sur les pentes du col Nord.

Après d'autres avatars ils reviennent enfin au glacier de Rongbuk, meurtris et blessés n'ayant plus qu'un seul piolet et c'est alors le calvaire du retour par le même chemin jalonné de dépôts de vivres... jusqu'à la course finale contre la mort par épuisement alors qu'ils atteignent, affamés, un camp de base évacué par ceux qui devaient les y attendre. Tout cela rappelle plus les expéditions polaires que l'alpinisme proprement dit et s'apparente singulièrement avec l'histoire de l'expédition Scott au Pôle Sud il y a 50 ans.

Le récit très vivant est agréable à lire mais ce qui mérite surtout attention à mon sens est le dernier chapitre qui est un hymne à la liberté de choix, au droit de chacun de se libérer de règles trop strictement utilitaires et raisonnables, hymne que comprendront tous les alpinistes car comme l'écrit Sayre : "l'un des buts essentiels de l'alpinisme est le dépassement de soi même, ce qui implique un certain risque sans quoi il ne pourrait y avoir dépassement".

C'est là une réaction très saine contre l'embrigadement ou les interdictions qui fleurissent, paraît il, aux U.S.A. aussi bien qu'en U.R.S.S.... mais sans doute aussi doit on faire quelques réserves... Si l'on veut affronter des risques et mettre sa vie en jeu, encore faut-il mettre toutes les chances de son côté... l'entraînement aussi bien que l'expérience ne sont pas choses inutiles et comme Sayre le reconnaît dans ses notes de route griffonnées lors des derniers jours : " l'insouciance et l'amateurisme n'ont pas leur place ici".

Mais, ceci dit, rendons grâces à Sayre pour avoir rappelé que le but est non le sommet mais l'homme, et nous sommes de coeur avec lui quand il aspire au jour où un homme atteindra l'Everest sans oxygène ni doping d'aucune sorte.

Louis NELTNER.