Inexplicablement, la montagne n'a le plus souvent engendré que des souvenirs du genre fastidieux. Rien de semblable ici! Un texte vieux de cent cinquante ans vient nous rappeler ce que peut être un livre personnel et vivant. II s'agit de la relation qu'Henriette d'Angeville composa, quelques mois après son ascension au Mont Blanc, pour ses parents et ses amis, et non pour le public (récit qui ne doit pas être confondu avec le Carnet vert, simple journal de voyage où les historiens de la montage ont puisé nombre d'informations pittoresques et déjà bien connues). Conservé dans les archives familiales et resté jusqu'à présent inédit, ce manuscrit voit aujourd'hui le jour.

Rappelons que, seconde femme à être parvenue au Mont Blanc, Henriette d'Angeville y fut, selon sa propre formule, la première "à même de rendre compte de ses impressions". Marie Paradis qui, en 1808, avait atteint le sommet, n'était qu'une pauvre paysanne dépourvue de toute initiative et que ne rend touchante que sa parfaite humilité ("traînée, poussée derrière, tirée devant, portée") elle réclama qu'on "la fiche dans une crevasse" et ne se rappela avoir vu que "du blanc et du noir".

Henriette d'Angeville fut, elle, pour son temps, dès qu'elle eut découvert la montagne et malgré sa quarantaine bien sonnée, une véritable aventurière. Elle désira le Mont Blanc avec passion, elle triompha de tous les obstacles matériels et psychologiques, elle refusa d'écouter les prudentes objurgations, et alla son chemin avec un tel enthousiasme et une si forte volonté qu'éprouvée en cours de route par le mal des montagnes et craignant de mourir avant d'avoir terminé l'ascension, elle demanda à ses guides qu'ils portent dans ce cas son corps au sommet et l'y laissent! A cette personnalité se joignent un réel talent d'écrire, une observation pénétrante, le sens des situations et un humour léger qu'elle sut exercer aussi bien sur elle-même que sur les autres... Rien d'étonnant qu'avec de tels atouts elle ait produit un texte alerte, savoureux et prenant.

Un récit de la voie normale du Mont Blanc? Mais oui! Et il distille un parfum de fraîcheur et d'aventure que l'aube du XXIe siècle, ses 8000, ses horaires et ses exploits réussissent bien rarement à nous faire ressentir...

Anne SAUVY.