CRITIQUES DE LIVRES

LA CONQUETE DU FITZ-ROY

 

 

M-A. AZEMA

Flammarion, éditeur. CoIlection:L'Aventure Vécue

16 pages de photos de l'auteur et de Georges Strouvé, 3 cartes en noir. 3 planches dans le texte

(Revue " La Montagne " - No 365, 1954)

 

Il est à craindre qu'entre les conquêtes de L'Annapurna et de l'Evercst, celle du Fitz Roy, n'apparaisse pas comme le tournant qu'elle est en réalité. Les plus hautes cimes conquises, il reste en effet les plus difficiles et l'activité alpiniste va titrer maintenant "Tour de Mustagh" pour le rocher et l'Himalaya et "Sarmiento" pour la glace et la Patagonie.

Sur "cet instant non négligeable de la conquête de la Terre" qui fut avant tout l'oeuvre de deux individualités, Magnone et Tcrray, le médecin de l'expédition a porté une attention qui marque, non pas un tournant, mais un retour en arrière; une attention aiguisée par le diagnostic et la culture. Prosélyte des escarpements du Caroux, Azéma n'a pas coutume de lever seulement son regard vers les arrachements surplombants qui les couronnent. Il le pose sur les plus secrètes des vieilles pierres ornées qui s'éveillent au soleil du Languedoc, sur les beautés naturelles plus austères mais très charmantes qui entaillent la plaine, la garrigue et les avant-monts, sur les horizons de rêve qui des Pyrénées ariégeoises descendent, par les Albères, vers la nacre méditerranéenne.

Lorsqu'il est parti pour la Patagonie, il s'est détaché de la France à Dakar pour porter ce même regard vers l'Argentine. Avec émotion, il a vu approcher ces régions magellaniques où les vents du Pacifique accumulent de si constantes nuées qu'elles transportent au cauchemar. C'est la disparition de la race indigène devant la colonisation argentine et scandinave. C'est l'échelle immense de chaque terme du décor : la steppe, les glaces de l'inlandsis qui débordent la ligne de partage, les lacs à icebergs, les parois incroyablement redressées, les animaux enfin et la structure géologique ou physique du paysage. C'est vraiment toute la Patagonie qui entoure la cime qui en est reine : le Fitz Roy.

Car c'est toujours vers elle que revient le regard. Et l'auteur ne pouvait pas ne pas vivre intensément l'action de la conquête, ne pas observer ses compagnons aux réactions si diverses et parfois déconcertantes, tout en portant les charges vers la grotte de glace d'où devait partir pour l'assaut la cordée victorieuse. Cc n'est pas le chapitre le moins étonnant que celui où cet assaut est décrit par un lointain témoin récit à la fois éclatant de vérité et dépourvu de réminiscences. A la hauteur vraiment de l'exploit de Magnone et Terray. S'il pouvait, sur ce plan du moins, n'y avoir pas de tournant et que se perpétue notre âge où l'on croit encore aux cimes

Henri SALIN