Les lecteurs de La Montagne savent qu'Anne Sauvy s'est forgé un nom en alpinisme. Et depuis la parution de son premier ouvrage, les Flammes de pierre, cette intellectuelle, fille d'un économiste illustre, s'est aussi fait un prénom. On lui reconnaît même volontiers une place enviable, quelque peu enjolivée de féminisme, dans la littérature montagnarde.

Tout change avec la publication de son second recueil de nouvelles, le Jeu de la montagne et du hasard. Cette fois, Anne Sauvy nous offre un chef­d'oeuvre qui la situe désormais sur les sommets de la virtuosité littéraire.

Tour à tour poétique ou grave, ironique et tendre, dramatique, loufoque, prémonitoire, souvent très drôle, le ton du livre éblouit le lecteur de ces seize nouvelles unies par le commun dénominateur de la montagne. N'en déplaise au titre du livre, rien n'est laissé au hasard dans ces intrigues où une logique implacable pousse des situations, à l'origine très quotidiennes, très vraisemblables, jusqu'à leurs ultimes conséquences. II résulte de cette démarche un climat de drôlerie où le réel et le fantastique se confondent, constamment soutenus par l'intervention du détail vrai, de la touche cocasse qui font penser aux nouvelles de Salinger (celui des poissons-bananes, bien entendu).

La galerie des personnages qui s'allonge au fil des pages aligne les portraits incisifs et gentiment moqueurs de tous ceux qui composent le petit monde de la montagne, du guide chamoniard à l'écolo des villes, du collectionneur de premières à l'ancêtre illustre et statufié, sans parler du poivrot de village. Et cette ironique leçon de morale est lâchée en termes simples, en phrases limpides, avec une maîtrise et un humour dignes de Jules Romains.

Merci, Madame, pour le plaisir raffiné et les fous rires que nous procure votre livre, un ouvrage dont on parlera longtemps dans les chalets, Cré Bon Guieu!

Pierre MINVIELLE .