A travers le récit l'homme apparaît dans
sa vérité ; le dieu de l'impossible, l'être parfait
qui ne se trompe jamais, sait aussi souffrir et affronter le dialogue
révélateur avec luimême.
Ici, la poésie affleure, toute simple, émouvante,
et la chose est d'importance, si l'on songe à l'ennuyeuse rhétorique
d'une certaine littérature alpine. Là, avec une franchise
impitoyable, Bonatti répond aux ennemis qui ont fait flèche
de tout bois pour l'abattre. Mais on sait bien que dans notre société
moderne les héros, quels qu'ils soient, sont gênants !
En fait, l'intérêt véritable du livre est ailleurs.
Bonatti voudrait nous expliquer pourquoi il a ainsi abandonné,
aussi soudainement, l'alpinisme. Il en a assez, nous dit-il, de cette
ambiance artificielle de compétition, de ces gens toujours prêts
à l'espionner, à l'affût de la plus petite erreur
; assez des alpinistes, mais non de l'alpinisme ; il a fait son bilan,
et ses réalisations le satisfont ; désormais son intérêt
se tourne vers l'exploration des terres lointaines et inconnues, car,
ajoute-t-il, l'exploration est une suite logique de l'alpinisme, qu'elle
complète.
Voilà ce que tu nous dis, Bonatti, mais nous ne sommes pas convaincus.
Entre tes lignes perce le souvenir mélancolique et déchirant
de ces "grands jours" auxquels tu as voulu renoncer.
Et alors nous te demandons pourquoi, Bonatti. Pourquoi cet adieu brutal
et trop précipité ?
Nous pensons qu'il est la conséquence de cet individualisme exaspéré
qui t'a permis de mener à bien tes entreprises grandioses, célèbres
dans le monde entier. Mais peut-être est-ce le désir inguérissable
de la victoire sur toi-même qui t'a rendu esclave, qui t'a conduit
jusqu'à cette frontière au delà de laquelle il ne
reste rien que la recherche inconsciente de la mort. Tu as eu assez d'intelligence
pour comprendre ; tu as eu le courage (le grand, le douloureux courage)
de renoncer. Mais pourquoi ne pas continuer à aller en montagne
sans autre ambition que d'y trouver détente, liberté, divertissement
? Serait-ce que le souvenir des "grands jours"
est encore trop vivace pour que tu consentes à cette forme d'alpinisme
? Mais c'est justement ce point d'interrogation qui nous laisse perplexes
et insatisfaits.
Gian Piero MOTTI.
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