CRITIQUES DE LIVRES

LE 7ème DEGRE

 

 

 

par Reinhold MESSNER, (traduit de l'allemand par M. Bittebierre.) - Arthaud, Paris, Grenoble, collection "Sempervivum" N°60. 1975 -

(Revue " La Montagne et Alpinisme " - No 2, 1975)

Quelle que soit la discipline, le champion sportif sécrète autour de lui une atmosphère mythique et légendaire. Rarement ce champion se laisse analyser, rarement il dévoile les secrets de son succès et de sa préparation.

Le phénomène Messner s'est élevé dans le firmament de l'alpinisme comme une étoile de première grandeur, soulevant sur son passage bravos et admiration sans bornes, ou bien blâmes et dénigrement. Pour les uns il est le plus grand grimpeur de tous les temps - parfaite et brillante machine à grimper. Les autres le dénoncent comme hystérique, subodorant le névrosé sous le masque du " dur ". Mais, au milieu de ces critiques et de ces approbations, entre ses admirateurs et ses détracteurs, il est là, lui Messner, avec son caractère, avec sa volonté qui ne sait pas ce qu'est l'irrésolution, avec ses réalisations qui ne laissent place à aucune discussion.

Messner est intelligent, et pas peu. On le voit à ce qu'il écrit et à la façon dont il l'écrit. Il s'est imposé une discipline dure, méthodique, sans trêve ni repos. Il veut démontrer (et il a démontré) qu'avec une préparation scientifique et minutieuse, s'ajoutant à une volonté nietzschéenne, on peut aller au-delà de ce qui avait été posé comme la limite infranchissable de l'alpinisme : le sixième degré. Tout son livre est consacré à défendre cette thèse. S'il y a eu évolution dans les autres sports et dans toutes les activités humaines, quelle raison a-t-on de dire qu'il ne peut pas en aller de même dans l'alpinisme ? Que ses ennemis se rassurent. Messner ne triche pas, ses moyens ne sont ni mesquins ni grossiers. Et c'est précisément pourquoi on reste confondu devant son courage lucide, devant le froid calme du danger dont il est capable, devant la puissance de contrôle qui lui permet d'éviter toute émotivité, toute faiblesse. On ne peut pas ne pas penser aux techniques orientales.

Sans doute n'importe qui d'autre aurait-il reculé devant les chocs reçus et les blessures cruelles. Quels sont les causes et les mobiles qui le poussent, lui, à agir comme il fait? nous n'en savons rien. Nous pourrions chercher à le comprendre en fracturant sa psyché, mais à quoi bon ? Dans son essence, le phénomène Messner resterait entier.

Ce livre rassemble les souvenirs, les impressions et les réflexions qu'ont distillés tant d'années d'aventure. Les bonnes pages ne manquent pas et les pensées originales sont souvent au rendez-vous. L'homme aussi, peu à peu, se montre sous un jour plus humain. Au retour de son escalade solitaire de la face nord des Droites, la machine à grimper a un instant de faiblesse et de trouble : " Toujours cette boule au fond du gosier... Il y a des années que je n'ai pas pleuré. Alors, je pousse mon sac sous ma tête comme un oreiller. En moi, soudain, une résistance se brise, comme si je me libérais d'une contrainte. Je ne pense à rien. Mais déjà des larmes m'apportent un clair et nouvel équilibre. " Mais c'est la conclusion du livre qui nous donne sans doute tout le caractère de cet extraordinaire alpiniste, à la fois discuté et adulé : " Trois jours durant j'étais resté sans boire, cinq jours sans manger, j'avais passé trois nuits sans protection dans la glace; la vallée, j'ai fini de la descendre en rampant, parce que je ne pouvais plus me tenir sur mes jambes. C'est un miracle qu'il ait survécu à cette odyssée, dirent alors les grimpeurs du monde entier. Moi, je ne crois pas aux miracles. "

Gian Piero MOTTI

(Traduit de l'italien. Les extraits du livre sont donnés dans la traduction française de Monique Bittebierre. )