CRITIQUES DE LIVRES
DEUX LOTUS EN HIMALAYA
par Danielle BOURGEOIS.
Ed. Flammarion, " l'Aventure vécue ".
(Revue " La Montagne" - No 2, 1977)
"Tiens, se dit-on lorsqu'on entame le dernier livre de Danielle Bourgeois Deux lotus en Himalaya, voilà donc encore un récit de voyage au Népal". D'autant que le titre évoque fâcheusement certains romans policiers de grande consommation. Mais la personnalité de l'auteur d'une part, la petite dédicace "à toutes les femmes d'alpinistes" d'autre part, et enfin l'intérêt qu'on peut éprouver pour un ouvrage sur le Népal si rebattu qu'en semble le sujet, font qu'on ne referme pas le livre.
Les premiers chapitres obéissent exactement aux lots du genre : arrivée à Katmandou, préliminaires, la marche d'approche, les porteurs, les difficultés avec les autorités : paysage connu. On pourrait presque réciter de suite, et comment, les vaillants alpinistes vont mener à bien leur reconnaissance au Manaslu et leur étude ethnologique des nomades.
Et puis, voilà que tout-à-coup la mécanique se dérègle : on les vole, ils restent bloqués, sans argent, dans un monastère au pied du Manaslu, ils ne mènent pas à bien leur reconnaissance, ils n'atteindront pas le col par où passent, ou sont passés, les nomades.
Alors commence une mise en question : "Nous avons beau désormais tirer à nous la couverture de notre enfance, il n'y aura plus rien à faire : il dépassera toujours un bout d'épaule par lequel va nous glacer le froid lugubre de l'âge adulte, nous avons joué une dernière fois à l'Aventure, mais nous avons perdu la partie."
Avec une naïveté apparente, sous une certaine franchise de langage, un oeil aigu scrute et met en mots l'alpinisme, les rapports de l'alpiniste et de la mort, et de la femme, rend compte, sans peser, d'une expérience que l'on peut qualifier de mystique, de la reconstruction d'un esprit : "J'irai mon chemin avec l'inévitable solitude qui est le récoltant secret de l'existence".
Mais ce questionnement ne paraît pas lourd, à la lecture, mêlé qu'il est au récit du séjour, d'abord au monastère, ensuite au village de Manang, à la description des personnages rencontrés, à des remarques sur le bouddhisme, à l'histoire enfin de l'arrivée au col du Thoroy, aventure qui semble réellement à la limite des possibilités humaines.
Malgré la simplicité du ton, il s'agit là d'un livre très intéressant, et d'un livre gênant.
Gênant, parce que c'est un livre de femme, qui parle en tant que telle, et regarde, de l'extérieur, l'alpinisme avec acuité. Intéressant à cause de la qualité de l'aventure matérielle et intérieure, racontée, à cause de la qualité de la personne qui raconte : Danielle Bourgeois.
Marie Françoise GAY.