CRITIQUES DE LIVRES
UN MÉDECIN DE MONTAGNE
par Georges Sonnier.
Albin Michel, Paris.
(Revue " La Montagne et Alpinisme" - No 48, Juin 1964)
II y a quelque quarante ans, dans le cadre d'un haut refuge d'Oisans que le lecteur identifiera sans peine, un vieil homme, venu là haut retrouver encore ces sommets qui furent sa vie, narre son existence à un alpiniste de rencontre. C'est cet admirable récit qui constitue l'essentiel du livre. La vie de cet Henri Rodier fut pourtant bien peu fertile en événements. Grenoblois, il quitta la ville, ses études accomplies, pour s'installer comme médecin à Valfroide (La Grave). Les difficultés de son métier, ses courses en montagne, les quelques rencontres marquantes qu'il fit au cours des ans constituèrent la trame matérielle de sa vie. Mais cet amateur de solitude était un homme de réflexion, cherchant toujours la signification des choses vécues, tentant de comprendre lucidement ces situations fondamentales : amour, joie, souffrance ou mort dans lesquelles se débat chaque être humain, et faisant de la montagne l'objet d'une méditatation fervente.
Pour peu que l'on connaisse l'oeuvre de Georges Sonnier, on devine tout le parti que l'auteur de Meije et Terre du ciel a pu tirer d'un tel schéma. L'aventure intérieure, la recherche d'une certaine philosophie, l'incessante tentative pour conférer à la montagne un sens dans une vie humaine, composent le fond de ce roman qui est tout autant un essai. Voilà le lecteur prévenu. S'il est d'accord avec Georges Sonnier pour reconnaître que "l'alpinisme est un humanisme", et si l'affirmation que "la montagne est une réalité métaphysique" ne l'effraye pas, nous l'assurons de trouver à cette lecture de substantielles richesses. Qu'il n'aille pas croire pour autant que seules de belles abstractions y sont agitées. A ce point de rencontre de l'homme et de la montagne, nous retrouvons tout ce qui, comme naturellement, captive le pratiquant de ce domaine "où règne la lumière" : beauté de la lutte, absolu des paysages, accord profond avec le monde. La souveraine Meije est le pôle et le creuset de ces sentiments.
On ne peut parler de ce livre sans dire que l'on y trouve, vu par les yeux d'un homme qui a lu Ramuz, tout l'Oisans d'autrefois. II s'en dégage un charme pénétrant. Qui de nous, s'il n'aimât vraiment la montagne, n'a songé à ce que furent jadis ces vallées, la vie de leurs habitants, et ces sommets chargés d'un autre prestige ? Nous lisons là de fascinantes histoires, liées à l'âge d'or de l'alpinisme et à la vie quotidienne des montagnards de ces pays.
Un médecin de montagne s'inscrit d'ailleurs dans un certain cheminement de la pensée de Georges Sonnier. Il marque, sinon une réponse totale et définitive, du moins la conquête d'une sagesse sur les sentiers de la montagne et de la vie.
Nous avons été sensibles à un lyrisme contenu, chaleureux et personnel, à une qualité littéraire constante sans concession à la facilité et au simple pittoresque. Cet ouvrage, clef tout à la fois de la terre d'Oisans, d'une époque vite enfuie, et des voies du rêve et, de la recherche spirituelle, est du rang des plus hauts livres que la montagne ait jamais inspirés.
Gérard de Couyssy.