CRITIQUES DE LIVRES
MONTAGNE POUR UN HOMME NU
par Pierre Mazeaud
Arthaud, Paris, Grenoble
(Revue " La Montagne et Alpinisme" - No 84, Octobre 1971)
Enfin un livre d'alpinisme écrit par un véritable amateur! Nous étions depuis plusieurs. années abreuvés d'ouvrages de professionnels. Ceux-ci, en dehors de leur écrasante valeur technique, étaient naturellement enclins à exalter leur comportement. Voyez donc comme ce guide est sûr ! Qu'il est aimable ! Quel plaisir il a d'emmener en montagne les novices ! Comme il est fort et photogénique, les éléments en furie ne peuvent jamais l'abattre ! Et ces ouvrages finissaient par ressembler à des prospectus. Pierre Mazeaud, qui pour sa carrière civile doit utiliser la propagande sur d'autres plans, n'a certes pas voulu cacher au lecteur que la montagne est souvent terrible et que les tentatives ne sont pas toutes vouées au succès. D'où le très grand intérêt de cet ouvrage. Il s'en dégage la figure d'un homme qui a choisi, dans notre sport, ses buts parmi les plus difficiles. A travers les récits de ses grandes courses, il nous conte comment il a récemment lutté pour arriver à se compter parmi les grands champions. Il admet d'ailleurs, tout en s'estimant à leur niveau, qu'il a souvent besoin de leur aide technique et morale. Passionné de contact humain, i! a souvent changé de compagnon, et les grandes figures de l'alpinisme international apparaissent presque toutes, au fur et à mesure, dans les pages de ce livre.
Dès les débuts de l'alpinisme technique il a été de bon ton de minimiser les difficultés après le succès. D'où bien des textes monotones où il ne se passe rien. Mais, ici, Pierre Mazeaud semble attirer la foudre. Beaucoup de récits sont dramatiques. Peut être trop, diront certains spécialistes. Mais le lecteur moyen s'y laissera prendre. C'est du bon journalisme, et l'on se référera avec intérêt aux récits faits par d'autres des mêmes drames.
Les chapitres majeurs ont trait à la première ascension de la voie J. Couzy à la Cima Ovest di Lavaredo (avec Desmaison), à l'éperon Walker (en 12 h avec Sorgato), au drame du pilier du Frêney et à une aventure à la Civetta où une énorme chute de pierres faillit mettre un terme à la carrière de l'auteur.
On lira enfin avec intérêt une version personnelle des démêlés internes de la dernière expédition Dyhrenfurth à l'Everest.
Écrit sans doute rapidement, le texte n'atteint pas la qualité littéraire des grands classiques de l'alpinisme. Cependant, malgré la pauvreté relative du vocabulaire, les récits évoquent bien la peine des hommes, leurs joies simples, l'amitié donnée un peu facilement et que l'on espère réciproque. On est saisi par la violence des images et l'auteur a su éviter presque complètement la terrible monotonie technique.
Le livre est correctement édité. Les photographies, nombreuses, sont assez quelconques et ne se raccordent pas au texte. C'est dommage, cet ouvrage méritait mieux.
Alain de CHATELLUS