CRITIQUES DE LIVRES

MONTAGNE RETROUVEE

 

 

par G. Toulouse

Arthaud, Paris, Grenoble

(Revue " La Montagne et Alpinisme" - No 16, 1958)

Les grands coureurs de cîmes rejettent trop souvent clans le néant le socle d'herbe et de forêts qui porte l'objet de leurs convoitises. C'est cette " montagne à vaches " que l'auteur veut nous faire retrouver. Il appartient en effet à cette lignée d'écrivains qui, de Ramuz à Giono et à Samivel, pensent que le Grand Pan n'est pas mort.

On peut se demander si les alpinistes se sont jamais beaucoup souciés de la vie des montagnards, de leurs joies, de leurs craintes, de leurs légendes. De Whymper à Comici, les grands conquérants furent presque tous, en effet, des intellectuels cherchant uniquement une image rassurante d'eux mêmes à travers des performances de plus en plus difficiles à réaliser. Les naturalistes, les écrivains, les poètes, les savants eux-mêmes ont davantage été sensibles à la beauté de ce monde vivant, et curieux de sa vie secrète.

Ainsi, depuis près d'un siècle, l'intelligentzia alpine fut elle parcourue par deux grands courants d'idées dont les tenants ne s'appréciaient pas et s'accablaient souvent de sarcasmes. A l'orgueil des uns répondaient l'incompréhension des autres, parfois compliquée de l'envie que l'on a pour des biens inaccessibles.

Il faut souhaiter que ce livre rapproche les points de vue, en faisant aimer aux grimpeurs cette nature qu'ils ont souvent cotoyée pendant des années sans la voir. L'auteur s'est appliqué à suivre le rythme de ses grands devanciers. Ses récits sont vivants et colorés. Il a su se garder de l'excès qui consiste trop souvent à adopter un style broussailleux pour décrire une forêt.

On n'éprouverait donc que sympathie à l'égard de cette tentative si l'auteur avait fait preuve d'une objectivité complète en parlant de la conquête des Alpes. L'essentiel de l'alpinisme est d'être un acte gratuit et c'est la raison pour laquelle il ne pouvait naître que d'une impulsion extérieure aux montagnards.

Monsieur G. Toulouse veut placer sur le même plan les parcours de haute montagne effectués autrefois par nécessité et les inutiles ascensions modernes. C'est méconnaître à la fois les mobiles et les mérites. On voit réapparaître le fond de la vieille controverse Paccard - Balmat. Mais on sait pourtant bien maintenant que Croz n'eût pas existé sans Whymper ni Knubel sans Winthrop Young.
Le touriste, l'alpiniste, l'homme des plaines faussent chaque jour un peu plus, en montagne, le jeu des lois naturelles. Entaillées par les barrages, drapées de téléphériques, découpées en parcs nationaux, dépoétisées par de mathématiques descriptions d'itinéraires, les Alpes sont vraiment devenues le Playground de Leslie Stephen. Retrouverons nous jamais vraiment cette montagne que nous promet l'auteur ? Son livre, au moins, nous laissera le témoignage de ce qu'elle était autrefois.

Alain de CHATELLUS.