CRITIQUES DE LIVRES

NADIR

par Anne SAUVY

( Éd. Glénat, Grenoble. 1995 )
(Revue " La Montagne et Alpinisme " - No 3, 1995)

Nadir raconte une journée presque ordinaire du PGHM (Peloton de gendarmerie de haute-montagne) de Chamonix, durant le mois d'août. À la double unité, de lieu et de temps, s'ajoute l'unité d'intrigue : le sauvetage en montagne. Articulé sur un thème pareil, le livre, on 1e devine, tourne vite à la gloire de ces sauveteurs de la gendarmerie. On ne louera jamais assez le rôle qu'assurent les pelotons de gendarmerie de haute-montagne, les vies humaines récupérées, les drames limités, l'écran dressé entre l'horreur et la société, la lutte contre la mort, les risques pris.


De ces sauveteurs professionnels, souvent héroïques, le lot quotidien demeure pourtant la modestie, l'anonymat. On est aux antipodes des fausses valeurs dont les médias nous rebattent les oreilles à longueur de journée. Voilà le merveilleux thème narratif que l'auteur, Anne Sauvy, a eu l'idée de choisir pour son premier roman.

Tous ceux, nombreux, qui aiment les nouvelles déjà publiées par Anne Sauvy devinent qu'elle a mis toutes les chances de son côté pour mener à bien son récit. Elle a mis au service de sa plume l'information efficace d'un véritable reportage et cet esprit de réflexion, ce goût pour l'analyse qui est plutôt de l'écrivain. Tant qu'on n'a pas lu son livre, on peut estimer tout savoir sur l'organisation d'un sauvetage, sur les risques et sur les causes d'accidents, sur leurs conséquences.

Mais la documentation d'Anne Sauvy est si riche, si variée que je mets au défi quiconque de n'avoir rien appris à la lecture de Nadir. Avant d'être un roman, ce livre est un brillant documentaire. Mais c'est aussi un roman. Sa composition, douze récits de sauvetage torsadés, est traitée à la façon de nouvelles séparées, parallèles. Chacune d'elles est pleine de psychologie, de malice, de poésie, de couleur, de variété, riche d'observations sur notre comportement, nos habitudes, nos absurdités. Ses pages abondent de personnages vrais. Nous retrouvons la vie montagnarde, ses à-côtés, ses non-dits, ses hasards et ses vérités. Et la formulation en est si juste que, je le dis comme je le pense, Nadir me paraît être au secours en montagne ce que Premier de cordée, le chef-d'oeuvre de Frison-Roche fut jadis au métier de guide : l'ouvrage de référence, le livre emblématique. Certains esprits chagrins pourront certes récriminer sur la tonalité mélodramatique du sujet. L'inquiétude, l'angoisse, la peur, la mort sont certes présentes à chaque page. Mais n'est-ce pas aussi le sujet du livre ? L'accident de montagne parfois inévitable, parfois provoqué par l'imprudence, voire la stupidité. L'accident dont nous ne percevons que l'aspect « fait divers » sans nous préoccuper des implications humaines qui en découlent. L'accident qui est le risque accepté pour jouer à la loterie de la montagne. L'accident qui est la face cachée du bonheur. De ce bonheur, de cette splendeur, dont Pierre Dalloz avait fait naguère la matière de son livre Zénith.

Je me rappelais Zénith, ce texte de Pierre Dalloz que nous avons souvent relu et qui, dans les années trente, exaltait la beauté de l'altitude, en omettant les éventuels problèmes qui peuvent survenir... Je me disais qu'il existait aussi des journées de Nadir, "des journées sombres, comme celle qui vient de s'écouler" déclare un personnage d'Anne Sauvy vers la fin de son roman. Ce pourrait être la conclusion de l'ouvrage. Sa conclusion montagnarde, tout au moins.


Pierre MINVIELLE.

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