CRITIQUES DE LIVRES
NANGA PARBAT EN SOLITAIRE
par Reinhold MESSNER.
(Ed. Arthaud, Paris. 1980)
(Revue " La Montagne et Alpinisme" - No 120, 1980)
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Si on ne disait pas de Reinhold Messner qu'il est un grand alpiniste, on pourrait dire qu'il est un écrivain. Dans ce qu'il est convenu d'appeler la littérature alpine, personne mieux que lui pour décrire la peur, l'angoisse, surtout la solitude et faire part au travers de cet isolement de ses sentiments personnels. Le Nanga c'est sans doute la reine des montagnes, aussi celle du destin. Que de drames, que de morts. Déjà Mummery en 1895, Welzenbach et Merkl en 1932, une expédition complète en 1937, et aussi que d'exploits : Buhl, Kinshoffer, le sien enfin, solitaire, ce jour d'août 1978 quelques années après sa folle descente par le même versant, laissant son frère Gunther à jamais Dans un style direct, précis - tel est l'homme pour ceux qui le connaissent - Messner ne se contente pas de décrire, il parle et chacun de ses gestes, que ce soit dans la longue marche d'approche ou dans la conquête du sommet lui-même, prend une signification dont il nous entretient avec pudeur, avec réserve. Ainsi ces belles pages sur son amour perdu, Uschi. |
Sans doute quelques confusions au début du récit inquiètent le lecteur, ces longs rappels des tentatives mêlées à la fatigue des jours précédant l'installation du camp de base, mais l'application de l'auteur à se pencher sur les hommes, qu'il reconnaît cinq ans après, donne une force particulière au texte. Très vite le face à face avec le monstre, donc la passion. Messner, dans des pages admirables, nous entretient de lui-même et son dialogue avec la montagne - donc sa conception de l'alpinisme - est une sorte de roman d'amour. Tout est solitude ("je la tuerai ou c'est elle qui me tuera"), la peur, le vide, son propre équilibre, l'événement dont il veut faire un rêve, sa décision, ses doutes, enfin sous l'action ses propres hallucinations. Mais dans cette découverte de l'alpiniste, c'est surtout la sécurité, la certitude qui dominent. Les six jours de luttes fantastiques - ce qu'il y a finalement de plus bref dans le récit - sont relatés comme pour servir de trait d'union avec le lecteur. Passons sur les effort exceptionnels, sur le combat que livre Reinhold qui souffre, laissons l'auteur avec ses incertitudes mais attachons nous à l'espoir - qu'il confie à une jeune fille imaginaire - le troisième jour lorsqu'il atteint sans débordement de joie - seule une légère envie de pleurer - le sommet et qu'il voit dans une sorte de mysticisme sa montagne, ses montagnes - aussi, détail de tendresse surréaliste, la corniche dont il avait débouché en 1973 gravissant le versant Rupal. Le retour, la tempête, la solitude encore plus lourde et le temps de penser à la mort dans sa volonté de survivre, de parler "pour se donner du courage" sont des moments ressentis comme une sorte d'exaltation pour le lecteur qui n'attendait sans doute pas une telle sobriété. La descente enfin, son combat pour la vie et la rencontre avec les hommes, l'aventure finie, sont, pour ceux qui se pénètrent du personnage, les plus beaux passages. II y a dans ces lignes une infinie tristesse qui grandit l'être remarquable qu'est Messner. Ce livre est un très beau livre, sorte de conte pour enfants, l'auteur s'adressant à ceux qu'il comprend, à ceux qu'il aime : les enfants. Quel cri d'espérance dans la bouche de cet alpiniste, le plus grand du monde, que de dire "avoir un enfant... ! ". Plusieurs ouvrages avaient précédé celui-ci. II y manquait la maturité de l'écrivain. Messner l'a trouvée dans cette profonde solitude qui rend parfois humides les yeux de celui qui le lit. Pierre MAZEAUD. |