CRITIQUES DE LIVRES
LA FACE OUEST DES DRUS
Guido MAGNONE.
Amiot-Dumont éditeur, Paris. Collection Bibliothèque de l'Alpinisme.
208 pages de texte, 12 pages d'illustration
(Revue " La Montagne " - No 364, 1953)
Je crois me souvenir d'une photographie parue après la conquête de la Ouest des Drus : un Magnone gonflé de vie, tous muscles dehors dans le soleil. La force, c'est aussi le trait dominant de cet ouvrage, un vrai livre musclé, de ces pages, mais comment les qualifier d'un mot, brutales, c'est bien cela, et insolites. Un beau livre d'ailleurs plutôt qu'un bon livre, mais il est meilleur qu'ici le coeur parle. A mon avis, essentiel dans la bibliothèque de l'alpiniste.
J'étais sceptique, apprenant qu'allait "sortir" un livre de la Ouest des Drus, car des livres de montagne j'en sais trop de quelconques là où un bon récit suffirait, mais c'est avec beaucoup de plaisir que j'ai lu celui-ci. Certes il y aurait eu à en retirer pour alléger souvent : entre autres astuces, était-il par exemple nécessaire de nous refaire le coup des matthieux dans le train du Montenvers ? Et parmi tous ces clous, l'auteur plante souvent de solides clichés dans un style trop rapide. Mais dans ce livre où l'absence de "fignolage" est si et tant répandue qu'elle en devient sympathique bravade littéraire, passent le souffle des grandes entreprises et une continuelle passion du rocher, comme une connaissance physique de la matière Pierre.
Nouvel aspect de l'alpinisme, les voici bien les valeurs immanentes des techniques de "l'expédition verticale" : Pas un souffle de vent... L'odeur de la pierre m'engourdit. De temps en temps les ordres brusques des manoeuvres, quelques coups de marteau, le doux glissement des cordes rompent l'étonnant silence. J'ai vu ainsi se développer au long des pages une poétique étrange des cordes, du métal et du vide. Elle donne parfois l'anxiété que l'on éprouve devant les mécanismes de demain, mais pourquoi me suis-je surpris à la trouver si souvent attirante ?
Les chapitres plus spécialement consacrés aux idées, à la conception générale sont, plus que livre d'une génération, le témoignage d'une école avec ses violences, ses élans et son rude parler. Comme il s'agit d'un alpinisme révolutionnaire, le livre se veut justificatif et il y a des pages explosives. Il n'est pas dans les limites de cette chronique d'articuler un débat, et après tout, à chacun sa montagne. Il m'apparaît cependant symptômatiquc que le Saussois ait été pour certains une fin en soi, et qu'on puisse balancer un seul moment les joies du plus beau des stades verticaux et celles du plus pauvre des sommets. Mais qui dira jamais comme il convient le mal sournois fait à l'alpinisme par les écoles d'escalade, et ce que réserve demain toute la technique qui a été distribuée à tous comme un droit absolu.
Il y a sans doute quelques derniers "problèmes" à résoudre ainsi par le fer et le marteau. Ce sera toujours un peu plus introduire l'outil dans notre vie, signifier la primauté de la géométrie sur le coeur, et je pense qu'il faut citer ici la partie adverse, Georges Kogan, le lucide, qui écrivait jadis "Apportant avec eux les outils qu'ils étaient censés fuir, reprenant ainsi sans le savoir l'esclavage de l'usine, de l'atelier, de la vie mécanisée des citoyens de notre époque, ils accomplissent inlassablement, avec une précision parfaite, les gestes des robots de l'avenir. Ces amateurs d'artificiel avec leur forge, leurs instruments, leur inusable patience d'honnétes artisans achèvent à coups de marteau un cycle de l'alpinisme moribond".
Une angoisse se cache peut-être dans les derniers mots du livre "Quelles autres pierres, quelles autres montagnes nous donneront autant qu'elle une raison de vivre ?" C'est toute la question de l'avenir de l'alpinisme supra-vertical dans les Alpes. N'y est-il pas menacé d'être pris dans la morne accélération des répétitions chronométrées, et, plus exactement dans les dièdres immenses et sous les énormes toits, là où une nature d'exception a connu le grand amour, y aura-t-il demain autre chose qu'une simple progression verticale au long du nouvel et absurde visage de la montagne ?
Georges LOYER
(Revue " Vertical" - No 25, Juillet 2002)
La face W des Drus paraît dans la foulée de la première ascension, sous la plume experte de Guido Magnone. Les photos d'époque qui illustrent notre article (page 42 à 47) commémorant cet événement exceptionnel en sont tirées. Plus qu'un récit d'ascension, le livre de Guido replace l'ascension de la face ouest dans son contexte historique. Pour beaucoup, cette première marquait l'entrée de l'alpinisme dans une ère technologique. Sciemment, l'auteur utilisera l'abréviation "W", plutôt que le mot "ouest", pour symboliser ce changement.
La face W des Drus n'en est par pour autant un ouvrage sèchement technique. Même si quelques schémas font entrer le lecteur non averti dans le monde de l'escalade artificielle, alors peu connue en France. Ce livre est un joli tableau de la société des alpinistes du milieu de siècle. Ils sont tous là, à tourner autour d'un projet qui les met en effervescence. Peu à peu, le projet, les équipes se mettent en place. Les concurrents s'allient, les amitiés se nouent, les drames les défont. La vie de l'alpinisme français passe sur ces pages dédiées à une seule paroi. La technique, le matériel, les topos, la chronique des événements reprennent leurs droits dans les annexes en fin de livre. Une étrange poésie se dégage du récit. Celle de ces grands murs où on grimpe plusieurs jours, accessibles justement, et seulement grâce aux techniques tant décriées il y a cinquante ans. C.Gardien
C. Gardien