CRITIQUES DE LIVRES

La Paroi

 

 

par Michel Desorbay

Julliard, Paris. et Artès 1996

(Revue " La Montagne" - No 26, 1960)

Ce livre a le mérite de nous tenir en haleine jusqu'à la dernière ligne sans l'aide d'aucune intrigue sentimentale. I1 nous conte, dans le domaine de la fiction, l'histoire d'une expédition à l'Himalaya. L'auteur connaît ce dont il parle, puisqu'il a fait partie de l'expédition au Nun Kun en 1953.

C'est pourquoi ses descriptions sont justes, comme semblent vécus les sentiments qui agitent les membres de la caravane. Nous partageons les inquiétudes et les soucis du chef de l'expédition, en proie aux responsabilités, et nous souffrons avec les deux malheureux perdus sur le glacier, dans la tempête. Ce sont les meilleures pages. II est dommage que l'auteur ait cru devoir forcer le personnage de son grand alpiniste, pour arriver à en faire un surhomme exalté qui, au cours de sa marche solitaire vers le sommet, se livre à une gymnastique forcenée dans la glace, et ne voit plus de différence entre la vie et la mort.

. Micheline MORIN.

 

(Michel Ballerini : "Le Roman de Montagne" - Arthaud 1973 - pages 158 à 162)

" Les montagnes exotiques, plus que les autres, se prêtent difficilement aux rêves de l'imagination. Un roman de montagnes exotiques ne saurait être autre chose qu'un récit ; c'est bien sous cette forme que se présente la meilleure oeuvre qu'elles aient inspirée : La paroi, de Michel Desorbay. "

" Peut être a-t-il manqué à J. Desservetaz la chance qu'a eue Michel Desorbay, celle de participer à une expédition. M. Desorbay fit en effet partie de l'expédition au Nun Kun en 1953. Il a certainement peint ses amis à travers les personnages et des faits réels ont sans doute inspiré quelques péripéties de l'action. Il se dégage de La paroi une très forte impression de vécu qui élève le roman au niveau des meilleurs récits himalayens.

La paroi est un roman concis qui retrace les derniers jours d'une ascension, la conquête du Kang. Sans s'éterniser sur les préparatifs, l'auteur situe d'emblée ses personnages au coeur de l'action. Tout le roman est bâti sur un rythme qui " tient en haleine jusqu'à la dernière ligne ". Bernard Leclerc, lui, a très justement remarqué que " la présentation du livre est peu classique. C'est une succession de tableaux toujours assez courts, parfois très brefs ". Ces courts chapitres, méthode employée deux ans plus tôt par Max Aldebert dans Les lles désertes représentent autant de temps forts dans le déroulement de l'expédition. Chacun d'eux pourrait porter un titre, car il est le récit d'un événement important. Comme M. Aldebert, M. Desorbay dit l'essentiel, mais son style est plus fluide, plus coulant. Les phrases s'enchaînent sans heurts les unes aux autres, elles forment un fil continu agréable à suivre. L'auteur compose des scènes et des tableaux d'une grande intensité comme ceux des chapitres X, XI, XIII et XIV : l'arrivée du mauvais temps, la longue attente sous l'abri de toile, la tourmente, la descente de deux hommes dans cette tourmente, voilà des pages saisissantes. La paroi est un petit roman de cent cinquante pages, cent cinquante pages d'action sobre et intense, mais aussi cent cinquante pages de tableaux évocateurs qui mettent l'accent sur l'élément humain.

II nous semble que M. Desorbay a parfaitement décrit le royaume des plus hautes terres. Tous les éléments des descriptions tendent à créer l'atmosphère inhabituelle de cet univers " entier, unique ". Les panoramas sont d'heureuses créations qui imposent la présence du Kang, montagne fictive sans doute inspirée par le Nun Kun. M. Desorbay a su évoquer la manière dont les membres de l'expédition pénètrent lentement, par une suite d'échecs, de tentatives et de succès, les secrets de la montagne qu'ils rêvent de conquérir. Dans un style ample qui évoque bien la grandeur du paysage, l'auteur décrit le jeu des lumières, la forme des montagnes : " Les glaciers s'animent de traits de lumière et les moraines grandissent dans la fuite des ombres. Longues à s'infiltrer dans la fosse des vallées, les couleurs ruissellent et prennent leur place, elles creusent le vide, soulèvent les parois. " Et, ce qui accroît l'intérêt du livre, l'auteur suggère toujours les sentiments des hommes au spectacle de ces montagnes

La paroi est avant tout un magnifique témoignage humain. M. Desorbay y a tracé de beaux portraits, aussi bien des alpinistes européens que des coolies ou des sherpas. Ces personnages vibrent de la fibre humaine. L'auteur a bien recréé l'atmosphère de l'équipe et il a suggéré, par exemple, les sentiments du sherpa Pasang qui sont ceux d'un homme partagé entre deux civilisations : celle des sahibs et celle des coolies. Quant aux Européens, ce sont tous des hommes ayant une forte personnalité : Claude, le chef, Tamler, pour qui " vaincre la montagne est l'unique forme achevée de l'action ", Joliot, l'infirme qui a " patiemment reconquis, avec une volonté désespérée parfois, toute sa force brisée ". Il y avait un danger à créer des personnages un peu exceptionnels, car ils deviennent facilement des surhommes, mais leurs sentiments sont toujours très justes et exprimés avec retenue par des mots simples. Les réactions humaines à ces altitudes paraissent bien vues, car l'auteur a su examiner ce qui se passait en lui sur les flancs du Nun Kun. La paroi est le meilleur roman de montagnes exotiques, car il est le reflet exact d'une expérience humaine dans un univers unique et l'une comme l'autre sont remarquables de vérité en même temps que de simplicité et de chaleur."

Michel BALLERINI