Parmi les douze articles figurant au sommaire,
trois appartiennent à la catégorie "Esotérisme
poétique". On joue avec les mots, la lecture doit être
faite à haute voix et le plaisir naît de la dilatation des
trompes d'Eustache. Le lecteur est d'ailleurs averti : "le questionnement
poétique ...réveille une lumière ...qui accroît
en nous, non la compréhension, mais la conscience d'une complexité,
seule source de connaissance". Ou bien : "Lecteur, aime
l'effort de comprendre ces textes que tu saisis mal".
Après cette lecture, on pourra distinguer
deux types de réaction de la part des grimpeurs :
- Le lecteur qui aura su accepter l'élévation spirituelle
dispensée par les animateurs de cette revue. Pour celui-ci, la
béatitude et la sérénité retirées de
cette lecture lui permettront de monter les escaliers de son H.L.M. dans
la lumineuse clarté de son moi retrouvé.
- Le lecteur réfractaire, réactionnaire, qui, préférant
la luminosité du texte à celle de l'esprit, pourra se défouler
sur la roche et la glace avec une frénésie proportionnelle
à son allergie à l'ésotérisme.
On trouvera également un article qui, dans une première
partie, remet en question la notion d'expédition. Excellente démarche.
Dans une deuxième partie, l'auteur tourne en dérision les
camarades de l'expédition à laquelle il aurait dû
participer à part entière. Ne s'étant pas totalement
solidarisé pendant l'expédition, il n'est pas étonnant
que " C " se désolidarise après. Cependant, si
nous souhaitons que ce déballage de rancoeur ait pu soulager l'auteur
de cet article, il n'en reste pas moins que la deuxième partie,
en manquant à la camaraderie la plus élémentaire,
gâche un peu l'ensemble. En outre, il est étonnant que l'auteur,
dans le cadre de cette analyse ironique, ait tant d'indulgence avec lui
même. Individualistes de tous les pays, unissez vous ! Quelle expédition
vous ferez ! Hélas, trop souvent, intellectualisme rime avec égocentrisme.
Mentionnons également un article très violent; chaque phrase
est une formule chargée à balle. Beaucoup d'alpinistes refusent
l'évolution mercantile dont la montagne est le jouet, beaucoup
préfèrent le splendide isolement, mais combien se sont demandés
pourquoi (un pourquoi au niveau de l'homme avant sa justification au plan
socio-politique); là, les Cahiers prennent toute
leur importance. Combien ont crié leur indignation ? Là
encore les Cahiers en ont le courage : "Donc, contre
les institutions, nous reprendre en charge : ne laissons pas faire de
l'alpinisme un service public"... "Fallait-il équiper
et vendre la Grande Traversée des Alpes, fallait-il agrandir (le
refuge d') Argentière" ...
..."Affolés de l'ultime, desesperados du "marche ou
crève" , sprinters de l'Alpe, vous qui avancez le regard vide"...
et encore : "Ces faux monnayeurs de l'élitisme... qui font
la courte échelle aux professionnels des grandes surfaces."
La plupart des articles traitent de la psychologie du montagnard actuel
et passé, un peu dans la tradition de Samivel (cf. Hommes,
cimes et dieux) notamment on y propose une transposition à
l'alpinisme d'une étude psychologique et sociologique établie
pour le sport et le tourisme. Je ferai simplement remarquer que l'aspect
ludique de la montagne est toujours négligé. Pourquoi ne
grimperait-on pas par simple distraction, comme certains vont à
la pêche ? Pourquoi ne voudrait-on pas accumuler les grandes courses
comme certains sont fiers de leurs gardons ? Doit-on systématiquement
assimiler compétition (par jeu) et élitisme ? Pourquoi réduire
la montagne à une recherche de son moi ? L'alpinisme peut être
un jeu collectif. Une expédition peut très bien s'envisager
sous cet angle. Dans ces conditions, vouloir dégager les fondements
psychanalytiques de l'alpinisme en dehors du contexte plus général
de celui du jeu, me semble réductif. Mais peu importe, je ne ferai
pas le procès d'une recherche honnête et passionnante telle
que celle qui est faite dans Passage. D'autant plus que
les Cahiers se veulent ouverts à tous ceux qui se
sentiront capables d'innover tant sur le plan de l'analyse des idées
que sur celui de l'écriture. Les textes de ce numéro 1 donnent
le ton; certains sont réellement violents, démystifiants,
importants, à lire et à apprendre par coeur. Puissent ces
Cahiers révéler des poètes de la verticale
!
Au niveau de la présentation, on a adopté le format d'un
livre (14 x 21). Pas de photos d'illustration pure; parmi les dix-sept
choisies, seules sept ou huit répondent aux voeux des rédacteurs,
à savoir constituer un moyen d'expression en soi. Ceci dit, il
est regrettable que la page des légendes ne comporte pas les numéros
des photos. Enfin, il y a une certaine confusion et hétérogénéité
dans la présentation des articles réservés aux analyses
de livres, de films etc.
En conclusion : j'attendrai désormais avec impatience La
Montagne et Passage. Je crois en effet qu'il est
indispensable d'avoir une revue d'informations (même techniques)
reflétant l'actualité montagnarde. La Montagne
c'est le "comment grimpe-t-on aujourd'hui". Il est également
indispensable d'avoir une revue de recherche, où la question n'est
plus "comment" mais "pourquoi" grimpe-t-on.
Guy LUCAZEAU.
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