CRITIQUES DE LIVRES

PICS ET PIONNIERS, Histoire mondiale de l'alpinisme

par Francis KEENLYSIDE. Préface de Lord Hunt.

Traduit de l'anglais par Jacqueline et Serge Ouvaroff

Albin Michel, Paris.

(Revue " Montagne et Alpinisme" - N°1, 1977)

 

 

De nombreux ouvrages et articles sur l'alpinisme, une longue collaboration à l'Alpine Journal, la caution enfin de la préface de Lord Hunt : autant de références pour garantir la qualité de l'auteur et celle du livre. Il s'agit effectivement là d'un ouvrage solidement documenté, objectif, aussi complet que possible. Le sous titre "Histoire mondiale de l'alpinisme" se justifie jusque dans la répartition, les Alpes n'occupant qu'un peu moins de la moitié du livre. Aucune région montagneuse du globe n'est oubliée. Mais si l'Himalaya se taille, et c'est normal, la part du lion, on remarquera l'importance de celle que l'auteur réserve aux montagnes d'Amérique. Un autre intérêt de l'ouvrage est qu'il recense les grandes premières jusqu'à la date récente de 1973, la parution de l'original en Angleterre n'ayant précédé que d'un an celle de sa traduction française. Mais récapitulons : la "préhistoire" de l'alpinisme (jusqu'à Saussure) est brossée en quelques pages. Bien connues, l'époque héroïque des premières grandes ascensions, celle de l'âge d'or qui s'achève avec la conquête de la Meije sont relatées rapidement, sans pourtant que soit négligé rien d'essentiel. Plus développées déjà sont la période de quelque quarante ans précédant la Première Guerre mondiale et celle de l'entre-deux guerres, dans les Alpes et ailleurs. Mais c'est ensuite que l'étude de F. Keenlyside prend toute son ampleur, et sa plus grande utilité, dans la mesure où il s'agit de faits qui ont été moins souvent traités dans leur ensemble. Le bilan de l'alpinisme après 1945 couvre près de la moitié du livre qui s'achève sur un court chapitre d'éthique et d'esthétique alpines.

 

Une mention spéciale doit être faite à l'insertion, très heureuse à notre sens, des récits dus aux auteurs eux-mêmes de mainte première mémorable. Il n'y en a pas moins d'une quarantaine. Qu'il nous suffise de citer, pour mémoire, les noms de : John Forbes, Leslie Stephen, John Tyndall, Whymper, Moore, Boileau de Castelnau, Mummery, Alexandre Sella, Julius Kugy, G.W.Young, George Finch, Tom de Lépiney, Gervasutti, T.G. Longstaff, Eric Shipton, Frank Smythe, Tilman, Walter Bonatti, Lionel Terray, Maurice Herzog, John Hunt, Hermann Buhl. Illustration du plus grand intérêt littéraire et documentaire. Cela dit, il est à noter que l'auteur s'intéresse moins au destin individuel des grands alpinistes qu'à l'histoire des grands sommets. Dans le cadre d'une telle étude, il n'y a rien là que de normal.

Pour en venir aux inévitables (mais toujours faciles) critiques, relevons : en ce qui concerne les Alpes, une place trop exclusive peut être donnée au massif du Mont Blanc et aux fameux "derniers grands problèmes" des années 30, au détriment en particulier des Alpes du Haut Dauphiné et des Alpes Orientales. Regrettons d'autre part que l'expédition française de 1936 au Karakoram ne soit même pas mentionnée. Sans doute n'atteignit-elle pas son but (le Hidden Peak). Mais n'était-ce pas alors la règle des expéditions himalayennes ?

Certaines erreurs, généralement légères, doivent être imputables à la traduction (fort correcte dans l'ensemble), voire parfois à la composition. C'est ainsi que nos alpines traversées deviennent le plus souvent des traverses; que la nomenclature des passages clés de l'Eiger subit d'étranges avatars, avec la Faille difficile, la Bosse de glace, les fissures d'Exit et un Flatiron bien britannique pour ce "Fer à Repasser" alémanique ; alors qu'en revanche, lorsqu'il est question de "Club Alpin", nous devons comprendre et retraduire Alpine Club. Minces détails, en définitive. L'ouvrage se présente sous la forme d'un bel album, illustré de nombreuses photographies en noir et en couleurs, généralement bien choisies, et il comporte plusieurs cartes, toujours utiles encore qu'un peu schématiques.

En résumé, un bilan sérieux, dont au terme de trente ans d'activité alpine intense et sans aucun précédent, le besoin se faisait sentir.

Georges SONNIER.

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