CRITIQUES DE LIVRES

LES PREALPES DU SUD VERCORS DEVOLUY VERDON

par Patrick CORDIER.

(Ed. Denoél, collection "Les 100 plus belles courses et randonnées", Paris. 1981)

(Revue " La Montagne et Alpinisme" - No 127, 1/1982)

 

Cette revue des livres n'est sans doute pas le lieu d'une nouvelle discussion sur le bien fondé de la collection dite "les 100 plus belles". Fuyant le danger de parti-pris, qu'il vaut mieux abandonner à ceux qui s'en sont fait une sorte de vocation, peut-être vaut-il mieux ne pas dépenser sa peine, sinon son talent, en se complaisant dans des exercices trop souvent schématiques et outranciers qui n'amènent que détriments, frottements et usure. Qu'il suffise de reconnaître à la dite collection un mérite essentiel en matière de librairie : celui d'exister, de croître et donc de se vendre.

On peut par contre, en se limitant au particulier, discuter le volume écrit par P. Cordier sur les Préalpes du sud, et la place qu'il occupe dans la collection.

 

 

 

L'ouvrage se différencie des autres, et d'abord par un découpage géographique inhabituel. La préhistoire des escalades calcaires dans les Préalpes, puis leur histoire, toutes deux minutieusement enregistrées par leur hérault, Serge Coupé, avaient depuis longtemps habitué le grimpeur à associer Vercors et Chartreuse. Mais les lieux sacrés changent avec les hommes et leurs croyances. L'escalade moderne, toute entière vouée au culte du libre, avec tout ce que ce mot contient à la fois de belle symbolique et de faux miroitements (on libère la technique, mais libère-t-on les esprits ?) cette escalade s'est déplacée vers le sud. P. Cordier prend acte de cette évolution et, avec sans doute un petit plaisir iconoclaste, élimine la Chartreuse, et associe Dévoluy et Verdon à un Vercors où les rochers de Presles se taillent la part du lion.

Dans ces nouvelles limites, P. Cordier grimpe, et invite à grimper, et guide le lecteur avec, non seulement le sérieux et la compétence technique du guide et professeur diplômé qu'il est, mais aussi avec la fantaisie du grimpeur confirmé, formé dans les écoles de pointe où, on le sait, le sérieux n'est pas souvent de mise. Et c'est justement cette ambivalence qui situe P. Cordier dans la collection, ou mieux qui permet de comprendre comment il "est entré en collection".

Pour des raisons peut-être à la fois commerciales et psychologiques, le cadre des "100 plus belles" parait être d'une grande rigidité. II y a un style "100 plus belles", un ton et une écriture qui ont influencé, qu'ils l'aient voulu ou non, tous les auteurs de la collection. Face à cette contrainte, chacun a réagi à sa manière. Certains se sont effacés. Un de Bellefon s'y est cassé le nez. Ce qui sauve P. Cordier, c'est justement ce qui, ailleurs, aurait pu le perdre : la désinvolture avec laquelle il entre dans le genre, l'absence de toute recherche dans l'écriture et la narration, tout à fait accordées à l'impertinence qui a toujours été celle des grimpeurs de pointe.

Visiblement P. Cordier sent qu'il faut d'abord paraître sérieux. Mais la conviction n'y est pas, et l'on devine qu'il préférerait être le chahuteur de la classe. II commence avec application à rédiger sa rédaction. Mais bien vite il ne résiste ni à la malice rigolarde ni à l'envie d'égratigner le sérieux. "Derrière la technique, l'éthique" écrit-il sentencieusement, pour aussitôt ajouter en se retenant de rire: "... et bientôt la trique". Le ton est donné, qui fait qu'on ne s'étonne pas de trouver à l'avant-dernière page du livre, comme dernier nom propre (!) de voie : Caca Boudin, dont le moins que l'on puisse dire est qu'il se situe plus dans la tradition Hara-Kiri que dans celle de la maison Denoël. P. Cordier prend un malin plaisir à justifier semblable appellation.

Une fois le ton donné, l'auteur peut se permettre bien des choses, et en particulier de faire entrer dans la collection ce que la vieille orthodoxie alpiniste n'a jamais vu d'un très bon oeil : non seulement l'escalade pure, la technique pour la technique, mais aussi le blue jean, le pantalon de survêtement, les chaussons d'escalade, les cheveux longs, les bandeaux et les torses nus. L'alpinisme et sa ferveur sérieuse sont loin. La falaise remplace le sommet, et c'est une religiosité goguenarde qui fait s'agenouiller les grimpeurs modernes au pied de la très américaine Deuil's Hooks (voir page 221).

De ce passage en collection, P. Cordier sort intact, et en tout cas assez fidèle à lui-même pour qu'au travers des contraintes et des faiblesses du livre, transparaisse, à la fois simple et évident, son amour pour la belle escalade, pour la pierre calcaire et les pays qu'elle construit aux marches du royaume de l'alpinisme.

Intact, et même assez fort pour se permettre une dernière impertinence à l'égard de la collection : après 100 topos (qui par définition sont des souvenirs), souhaiter au lecteur de découvrir que la plus belle course qui vaille d'être vécue, est la course qui hante ses rêves et "n'a pas de topo", course au delà des 100 courses et dont la photographie clôt l'ouvrage comme un clin d'oeil au Gaston Rébuffat qui écrivait dans Etoiles et Tempêtes (ou Neige et Roc ?) : "des rêves, il en faut toujours; je les préfère aux souvenirs".

Bernard AMY.

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