CRITIQUES DE LIVRES

PROFESSIONNEL DU VIDE

par René Desmaison

(Arthaud, Paris 1979).

(Revue " Montagne et Alpinisme" N°4 - 1979)

 

Peut-on désormais être alpiniste connu (ou célèbre) sans publier régulièrement d'épais volumes dans lesquels on tente de démontrer que la notoriété est une qualité qui se mérite ? A voir la frénésie écrivaillante de certains grands de la montagne, on peut en douter. A voir les résultats de la dite frénésie, on peut aussi se dire qu'il suffit d'être connu pour croire que l'on peut publier n'importe quoi.

Aussi n'est-ce pas sans méfiance que l'on aborde ce nouveau livre de René Desmaison. Et qu'avec ironie, on se dit que pour un écrivain le titre Professionnel du vide est un titre dangereux.

La surprise est celle-ci : le vide n'est pas celui du texte, R. Desmaison à force d'encre et de choses à dire a su emplir le vide des pages blanches jusqu'à faire un ouvrage de la classe de sa Montagne à mains nues.

Restent ce qu'il y dit et comment il le dit. Sur ces deux points, le livre fait penser à ces bonbons chinois dont on raconte qu'ils révèlent au fur et à mesure qu'on les goûte, des saveurs dissemblables et étagées.

 

 

D'abord, la première couche de sucre fin : une écriture, une façon de conter et de décrire qui sont celles d'un homme qui sait écrire. Et parfois même des recherches de style et de figures qui font penser que si R. Desmaison grimpe comme il peut laisser aller sa plume, ce doit être de la belle escalade.

Puis viennent les premiers chapitres dont le goût reste agréable pour qui cherche des récits simples et directs où l'exploit n'est plus la toile de fond obligatoire. La vie d'un guide qui, tout en exerçant son métier comme il pense devoir le faire, veut rester à la pointe de l'alpinisme de haute difficulté, y est décrite avec juste ce qu'il faut de mordant et de sincérité.

On ne sait à quel moment le goût change tant les bonbons chinois ont l'irritante faculté non de changer mais d'avoir changé de saveur. R. Desmaison se décrit et décrit sa montagne, mais il en profite aussi pour régler des comptes souvent anciens. Et là le ton, le style, les images ne sont plus les mêmes. Le bonbon tourne à l'ordinaire, bonbon acidulé sur quoi la langue ne retrouve plus la finesse initiale.

Et l'on en arrive au récit central, 50 pages décrivant longuement les "exploits" de Charles Courteroche, client incapable que R. Desmaison et un guide embauché pour la circonstance, hissent à grand renfort de cordes et d'étriers dans des premières qui, par le style, risquent de rester longtemps telles. Au début, on sourit. Mais très vite, on souhaite voir se terminer ce portrait peu charitable et qui, sans doute, ouvrira les yeux de bien des clients sur la valeur réelle des compliments que leur adressent les professionnels. Au moment où la dernière assemblée générale du syndicat des guides a mis en lumière la pratique assez répandue consistant à "se faire de l'argent" en vendant la montagne par n'importe quel moyen, l'histoire de M. Courteroche n'est pas drôle. Hisser en paroi des clients que l'on aurait plutôt dû convaincre de s'adonner à la marche à pied et se moquer d'eux ensuite, revient au même qu'héliporter des skieurs incapables de marcher à peaux de phoque quelques heures et de s'en glorifier plus tard.

Quand on passe aux chapitres suivants, c'est un goût amer que l'on garde avec soit, un goût que le très beau récit du parcours solitaire de l'arête de Peuterey ne fait pas passer complètement. Seul sur le Mont Blanc, R. Desmaison nous dit et nous fait sentir sa "joie d'exister". Malgré ce qu'il en dit, je ne suis pas sûr que, cette joie, il ait su la faire vivre dans toute sa plénitude à Charles Courteroche.

Luc CENIZE

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