D'abord, la première couche de sucre fin : une
écriture, une façon de conter et de décrire qui sont
celles d'un homme qui sait écrire. Et parfois même des recherches
de style et de figures qui font penser que si R. Desmaison grimpe comme
il peut laisser aller sa plume, ce doit être de la belle escalade.
Puis viennent les premiers chapitres dont le goût reste agréable
pour qui cherche des récits simples et directs où l'exploit
n'est plus la toile de fond obligatoire. La vie d'un guide qui, tout en
exerçant son métier comme il pense devoir le faire, veut
rester à la pointe de l'alpinisme de haute difficulté, y
est décrite avec juste ce qu'il faut de mordant et de sincérité.
On ne sait à quel moment le goût change tant les bonbons
chinois ont l'irritante faculté non de changer mais d'avoir changé
de saveur. R. Desmaison se décrit et décrit sa montagne,
mais il en profite aussi pour régler des comptes souvent anciens.
Et là le ton, le style, les images ne sont plus les mêmes.
Le bonbon tourne à l'ordinaire, bonbon acidulé sur quoi
la langue ne retrouve plus la finesse initiale.
Et l'on en arrive au récit central, 50 pages décrivant longuement
les "exploits" de Charles Courteroche, client incapable que
R. Desmaison et un guide embauché pour la circonstance, hissent
à grand renfort de cordes et d'étriers dans des premières
qui, par le style, risquent de rester longtemps telles. Au début,
on sourit. Mais très vite, on souhaite voir se terminer ce portrait
peu charitable et qui, sans doute, ouvrira les yeux de bien des clients
sur la valeur réelle des compliments que leur adressent les professionnels.
Au moment où la dernière assemblée générale
du syndicat des guides a mis en lumière la pratique assez répandue
consistant à "se faire de l'argent" en vendant la montagne
par n'importe quel moyen, l'histoire de M. Courteroche n'est pas drôle.
Hisser en paroi des clients que l'on aurait plutôt dû convaincre
de s'adonner à la marche à pied et se moquer d'eux ensuite,
revient au même qu'héliporter des skieurs incapables de marcher
à peaux de phoque quelques heures et de s'en glorifier plus tard.
Quand on passe aux chapitres suivants, c'est un goût amer que l'on
garde avec soit, un goût que le très beau récit du
parcours solitaire de l'arête de Peuterey ne fait pas passer complètement.
Seul sur le Mont Blanc, R. Desmaison nous dit et nous fait sentir sa "joie
d'exister". Malgré ce qu'il en dit, je ne suis pas sûr
que, cette joie, il ait su la faire vivre dans toute sa plénitude
à Charles Courteroche.
Luc CENIZE
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