Tout au long de son livre, il reprend cette idée
en montrant comment il a toujours fait en sorte de s'engager sur des chemins
risqués. Et jusqu'au bout aussi il tente de montrer quelles satisfactions
trouve celui qui sait suivre de tels chemins. Depuis les montagnes de
la Nouvelle-Zélande jusqu'à l'Himalaya, qui rapidement deviendra
sa deuxième patrie, en passant par l'Antarctique et les massifs
européens, on voit peu à peu apparaître le grand alpiniste
à la fois curieux de la soudaine célébrité
apportée par l'Everest, fasciné par tout ce qu'elle lui
permettra de découvrir, mais gardant au fond de lui la nostalgie
du pays d'enfance où toujours le ramènent ses voyages.
E. Hillary a t il été dépassé par son propre
personnage ? Le livre d'abord le laisse croire. L'auteur s'y présente
comme un "médiocre doté d'une certaine force fruste"
dont la principale qualité a été d'avoir su apprivoiser
la peur. Mais à la fin on se dit que ledit médiocre en a
trop fait pour n'être que cela. E. Hillary, semble-t-il, est plutôt
de ceux qui ont vu un jour se dresser à côté d'eux
un double qu'ils n'attendaient pas, mais ont su tout de suite marcher
devant lui, sans se laisser mener et tout au contraire le menant toujours
où bon leur semblait.
Mais pour raconter tout cela fallait-il vraiment couvrir 327 pages d'un
texte dont le moins qu'on puisse dire est qu'il est peu aéré
? Le style est clair, simple, la façon de conter aussi. Et pourtant,
si l'on excepte les pages relatives aux grands instants de la vie de Hillary,
la moitié de l'ouvrage se lit un peu en diagonale. On sait qu'en
mathématiques un tableau de n lignes et n colonnes, contenant donc
n2 éléments, possède sur sa diagonale n éléments.
Un calcul simple montre alors que le lecteur n'en aurait pas moins appris
sur la vie de Hillary en seulement 180 pages. Fallait-il vraiment un tel
luxe de détails pour décrire les premières courses
en Nouvelle Zélande, les vols de nuit pendant la guerre, certaines
parties de la route vers le Pôle ? Le lecteur s'y perd, qui se trouve
entraîné un peu malgré lui dans des aventures que
l'auteur a certes vécues avec exaltation mais dont la description
minutieuse, tant d'années plus tard, ne présente plus beaucoup
d'intérêt. Et l'attention s'y perd, elle aussi, qu'une simple
analyse de ces aventures, pour ainsi dire annexes, aurait facilement tenue
en éveil jusqu'au récit des grands moments.
L'autobiographie n'est pas facile. On veut tout raconter, et il faut choisir.
Ce que l'on garde à raconter, on voudrait à ce point le
faire revivre, qu'on accumule des mots et des mots sans jamais parvenir
vraiment à recréer les instants passés. II faudrait
se dire que le passé ne peut être à nouveau vécu,
se demander quelle part de ce passé on voudrait transmettre, et
trouver les mots juste suffisants pour dire cette part. E. Hillary voulait
nous dire qu'il a eu bien des choses parce qu'il a su prendre le risque
de les manquer. Mais en bien des endroits il n'a pas trouvé ce
juste milieu des mots qui place l'écrivain à mi-chemin de
la dissertation philosophique et du compte rendu d'activité.
Que le lecteur ne se décourage pourtant pas ! Quand E. Hillary
est amené à parler d'événements connus et
qui ont déjà donné lieu à de longs récits
détaillés, il se trouve contraint de résumer et de
ne plus suivre que ce qui a été pour lui la fibre maîtresse
de ces événements. Et là il donne sa vraie mesure,
celle d'un homme qui a su mener avec simplicité de grandes entreprises,
et sait aujourd'hui les décrire sans emphase et sans vanité.
Bernard AMY.
|