CRITIQUES DE LIVRES

LE ROMAN DE MONTAGNE EN FRANCE

par Michel Ballerini.

Arthaud, Paris, Grenoble.

(Revue " Montagne et Alpinisme" - N°2, 1974)

 

Tout comme le roman policier, le roman de montagne est un genre bien à part : à thèmes, à héros, à succès, à sensations, et à préjugés aussi. Tous les deux ont fleuri d'une façon exubérante à la même époque, et l'humour, l'exotisme traduisent parfois une timide tentative pour sortir des rails d'une tradition inébranlable.

Seuls quelques pionniers se sont aventurés dans cet univers où les fleurs bleues disparaissent sous le chiendent des truqueurs de mots, à la solde d'un public avide de sensations. M. Ballerini fait partie de ces pionniers. Il a suivi les traces de C. E. Engel, qui s'arrêtaient à l'orée d'une contrée inextricable : le XXe siècle. Il lui a fallu se restreindre, au roman français en l'occurrence : 200 pages de critiques et 80 pages de bibliographie.

Il pose en tout honneur le premier jalon du roman français de montagne : Oberman de Senancourt (1798), qui garde encore son secret malgré une édition en ouvrage de poche.

Il laisse le second jalon transparaître au deuxième chapitre : l'intemporel Tartarin dans les Alpes dont la valeur est à la mesure de sa popularité.

 
 

Quant aux autres, le temps n'est pas là pour juger : "La durée des oeuvres est celle de leur utilité" (P. Valéry).

Le troisième jalon Premier de cordée a l'air, à cet égard, d'une utilité exemplaire. Le Mont Analogue de Daumal est pourtant celui sur lequel je miserais. Mais il gardera lui aussi son secret encore longtemps, si l'on fait foi à la critique et aux goûts de M. Ballerini qui, cédant aux attraits irrésistibles de la classification (défaut sans doute d'universitaire), le retient à la rigueur dans le domaine de la science fiction, pour "sa lecture agréable, voire amusante" (sic).

Le quatrième jalon, lui, est très officiellement populaire, donc éphémère, comme les Papillon, et autres. C'est La paroi de Moustiers, jugé inauthentique, à tous égards d'ailleurs, mais que sa popularité fait passer impunément devant des ouvrages plus sincères et classiques cités ici (Sonnier, Samivel, etc). M. Ballerini lui préfère le lyrisme effréné d'une autre Paroi, celle de Desorbay. Notons qu'il a le mérite de réhabiliter par ailleurs certains auteurs oubliés comme Belzacq, Proal.

Nous ne sortons donc pas de la tradition. La littérature de montagne, pour sa défense, ne manque pas d'auteurs exemplaires, art secret, il faut bien le constater. Nous pensons entre autres à Michel Bernanos : La montagne morte de la vie ; Jean Ferry : La maison Bourguenew, Daniel Blanchard. Sortent ils trop du cadre que s'est fixé M. Ballerini ? Sont-ils passés au travers des mailles de ses filets ?

Si le roman policier a légué ses trésors, le roman de montagne, trop souvent réservé aux initiés, s'arrête au bord d'un domaine où l'aventurier des mots trouvera son compte, "car ce n'est pas tout que d'éprouver des sensations, il fait encore les analyser : il est parfois aussi doux d'en parler que d'en jouir et quand on ne peut plus celui ci, il est divin de se rejeter sur l'autre."

Rendons cependant grâce à Michel Ballerini qui a mis un peu d'ordre parmi toutes ces étoiles, chères à Supervielle.

Bernard VARTANIAN.

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