CRITIQUES DE LIVRES
SAMIVEL DES CIMES
( Éd. Hoëbeke, Parls, 1985 )
(Revue " Montagne et Alpinisme" N°1 - 1986)
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J'ai eu le privilège de connaitre en leur temps les premiers albums de Samivel à l'âge le plus vif de la jeunesse, quand, vers la vingtième année, la lecture d'un beau livre, la découverte d'un artiste dont l'oeuvre émeut notre sensibilité laissent au fond de l'âme une trace profonde et durable. Ce début des années 30 était aussi pour moi celui de mon initiation à la montagne, le temps de griseries et des purs enthousiasmes à la faveur de courses ou d'ascensions souvent solitaires. Ce fut aussi le temps où , je lus avec avidité force "livres de montagne". Mais les plus captivants de ces textes ne me causèrent pas un plaisir plus grand que les dessins humoristiques de Samivel dans Sous l'oeil des choucas ou - 10° et - un peu plus tard - les pures aquarelles de Neiges. |
On y retrouve un Samivel toujours aussi jeune que dans Neiges, d'un dessin, d'une couleur toujours aussi purs. Comme l'écrit Jean Onimus dans son excellente préface, en notant "la noblesse de l'inspiration" de l'artiste : "Il rêve devant nous et nous entraîne dans son rêve." Cependant, on ne trouve pas seulement dans cet album des paysages purement rêvés, mais aussi - est-ce vraiment une nouveauté chez Samivel ? - des lavis inspirés par des paysages bien réels de la vallée de Chamonix, de l'Oisans, de l'Oberland, du Groenland. Paysages réels, certes, mais combien "transfigurés" par la vision, par la sensibilité du peintre! Les planches qui évoquent, en particulier, les aspects sévères des terres glacées du Septentrion sont saisissantes : la nature - contrairement à l'ordinaire chez Samivel - n'a plus le moindre sourire; elle s'y montre implacable. Le froid, sous le ciel quasi polaire, y devient moral... En m'attardant dans la contemplation de ces derniers lavis, je ne peux m'empêcher de penser - comparaison qui paraîtra peut-être incongrue - à certaines couvres d'un artiste du passé, l'un des plus surprenants des grands aquarellistes anglais, Francis Towne, qui, voici deux siècles, rapporta de Suisse et de Savoie des aquarelles de paysages fort étranges pour l'époque et qui témoignaient d'une manière exceptionnelle de sentir et d'exprimer la montagne. La montagne, dans laquelle cet artiste très "à part" et très solitaire découvrait un autre monde, surréel... Celui de Samivel l'est aussi, à sa manière. J'espère qu'il ne s'offusquera pas de ce rapprochement, sans doute inattendu : il est un hommage à son talent, très "à part", lui aussi. Et je me permettrai de terminer en exprimant un souhait, celui d'un autre album le Groenland vu par Samivel. |
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