CRITIQUES DE LIVRES

DU CÔTÉ DE L'AIGUILLE VERTE

par Henri Isselin.

Arthaud, Paris, Grenoble.

(Revue " Montagne et Alpinisme" - N°5, 1972)

 

 

Après les Écrins, la Meije, les Aiguilles de Chamonix, il était fatal que Henri Isselin, historiographe des montagnes célèbres, soit tenté par la Verte. Mais cette fois, sans renoncer à sa vocation de chroniqueur, il élargit le cadre, et si la cime reste toujours au centre du débat elle apparaît surtout à travers les propos de ceux qui vivent et s'affairent autour d'elle.

La nouvelle forme du récit, celle de souvenirs romancés s'étendant sur quelque quarante ans, permet de mettre en scène, à côté des figures classiques et typiques de l'âge d'or, les protagonistes parfois brillants, mais plus souvent modestes, d'un monde alpin plus proche de nous.

Connaissant bien ce milieu pour y avoir vécu, l'auteur présente des types bien campés, tel le sage mais efficace Dupré ou Vattier bon garçon un peu exubérant, et à la lecture de telle ou telle scène bienvenue on est parfois tenté d'évoquer un nom plus ou moins connu.

 

Tout ce petit monde est vivant, sympathique, humain dans son originalité, vrai malgré certaines concessions et ce disant je pense à la place, un peu trop grande à mon goût, faite au souvenir d'une discrète idylle à la Charpoua.

"Il y a bien des demeures dans la maison du Père", et cette variété déjà manifeste parmi les conquérants des grandes voies se retrouve amplifiée chez leurs disciples, bien plus nombreux, le plus souvent modestes et parfois bavards puisqu'ils doivent conter l'histoire et exprimer des idées de l'auteur devant l'évolution rapide des choses et des idées.

Que de différences par exemple entre l'alpinisme de Mummery ou des frères de Lépiney et celui de Bonatti, pour ne pas parler de l'originalité de Karl Blödig, mais aussi que de variantes parmi leurs modestes successeurs pour qui le confort des refuges apparaît de plus en plus comme un imprescriptible droit de l'homme.

S'adressant à un public très large et posant bien des questions sans y répondre, cet ouvrage ne satisfaiera complètement ni le béotien ni le spécialiste : trop pour l'un, pas assez pour l'autre, mais pour chacun il peut être l'occasion de réfléchir, de s'interroger ou simplement de rêver, et pour ma part j'ai été touché par les lignes brèves mais si évocatrices, consacrées à Edy Stofer qui fut mon ami.

Le fonds historique est solide, le style agréable et alerte rend la lecture aisée, l'illustration regroupée en tête de volume est bien choisie, la documentation claire et abondante. Il y a même des notes explicatives destinées aux profanes, mais l'une d'elles me laisse rêveur : la culture a-t-elle évolué au point qu'il paraisse utile de rappeler aujourd'hui ici, qui fut Prométhée !

Louis NELTNER..

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