Une vie de guide, encore des récits de course, la littérature alpine ne se renouvelle décidément pas beaucoup... ! Ami lecteur, ne cédez pas à la tentation de cet a priori facile et allez faire un détour du côté de chez Tobey. C'est vrai, son livre parle de courses en montagne mais celles­ci se déroulent à une époque où faire de l'alpinisme dans les Alpes restait une grande aventure pleine d'incertitude. Pour apprécier ces récits à leur juste valeur, il faut se replacer dans le contexte : chaussures à clous, matériel sommaire, pas d'hélicoptère pour un oui ou un non...

On ne saurait trop recommander la lecture de ce livre aux jeunes générations. II reflète un temps où l'homme ne désespérait pas de lui-même et où l'alpinisme se résumait d'abord à une grande histoire d'amitié. À ce titre, Albert Tobey s'impose un peu comme un historien de l'alpinisme

Ceux qui ont connu la montagne dans les années 40, rendues plus difficiles encore par la guerre, retrouveront beaucoup de ce qu'ils ont vécu là-haut. Pour les autres, c'est une montagne qu'ils ne connaîtront jamais, celle d'avant les piolets à lame banane et autres gadgets aujourd'hui indispensables. Si Stallone avait tourné Cliffhanger avec le matériel de grimpe de Tobey, sans doute aurait-il eu quelques problèmes...

« Mister Tobey » a su s'asseoir sur une littérature de montagne un peu figée, voire frigide, pour nous toucher là où il faut, au coeur, avec des mots simples qui coulent comme une source. À l'aide de chapitres aussi courts qu'émouvants, qui distillent une petite musique, cet ouvrage raconte la vie d'un guide, un grand guide (citons seulement trois premières qui restent des références, les faces nord de la Meije, du Gaspard, du Pavé). II parle aussi d'un homme. Durant toute sa vie, Albert Tobey a su transmettre sa passion et le meilleur de lui-même à des centaines de jeunes ou de moins jeunes. Cela lui a valu la médaille d'or de la jeunesse et des sports et le grade de chevalier de la légion d'honneur. Mais loin des gloires souvent éphémères, ce qui domine dans ce livre, c'est d'abord un amour profond pour la montagne. Aujourd'hui âgé de 80 ans, Albert ne s'en lasse pas en dépit de la maladie qui l'a laissé paraplégique. Dans ses grands yeux clairs brille toujours une passion intacte et dévorante pour les sommets. Au dos de son livre, l'auteur s'interroge : « comment décrire un spectacle aussi beau, aussi sublime que la montagne avec une plume sans l'abîmer ? ». Je serais tenté de te répondre, cher Albert, que c'est sans doute parce que tu as su mettre ton coeur à la place de ta plume. Cela n'étonnera pas ceux qui ont le privilège d'être de tes amis.

Jean-Marie CHOFFAT.